par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
ABUS DEFINITION
Dictionnaire juridique
Définition de Abus
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Littéralement, le mot "abus" se réfère à l'usage excessif d'un droit ayant eu pour conséquence l'atteinte aux droits d'autrui. Dans les textes juridiques relatifs aux relations du droit privé et du droit public, on trouve cette acception dans des expressions telles que "abus de droit", "abus de pouvoirs", "abus de position dominante", "abus de biens sociaux" et "clause abusive".
Le nouveau Code de la consommation définit comme abusives les clauses qui ont pour objet de créer au détriment du non-professionnel ou du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Cette définition était déjà celle adoptée par la Cour de cassation (1ère Civ. - 27 novembre 2008, pourvoi n°07-15226, BICC, n°699 du 1er avril 2009 et Legifrance). Selon ce Code, un décret déterminera les clauses qui doivent être regardées de manière irréfragable comme abusives. On en trouve un exemple dans la manière dont est rédigé l'article 8 de l'ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence qui prohibe l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante ou de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve un client ou un fournisseur. De telles clauses sont réputées non-écrites. Ces abus peuvent prendre différentes formes par exemple le refus de vente, les ventes liées à des conditions discriminatoire, la rupture de relations commerciales établies au seul motif que le partenaire contractuel refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. L'exercice d'un droit exclusif par son titulaire peut également donner lieu à un comportement abusif. Il en est ainsi d'une protection contre une exploitation de droits par une entreprise concurrente lorsqu'une entreprise subordonne par le moyen de clauses types insérées dans les contrats de coproduction, son engagement de financer les oeuvres audiovisuelles à l'acceptation du producteur délégué, de confier, dès la signature de ces contrats, l'édition et la distribution de l'oeuvre sous forme de vidéogrammes à titre exclusif à une de ses filiales, pour une durée allant jusqu'à dix ans voire quinze à dix-huit ans sans pour autant prendre aucun engagement quant à l'exploitation effective de l'oeuvre. Mais aussi lorsque ayant relevé que les conditions tarifaires privilégiées, consenties à sa filiale par une société n'ont pas bénéficié aux éditeurs de vidéogrammes extérieurs au groupe et constituent des conditions de vente discriminatoires de nature à fausser artificiellement la concurrence en favorisant la filiale de cette société (Chambre commerciale 26 novembre 2003, pourvoi n°00-22605, Legifrance).
Dans le droit de la consommation, la loi n°76-23 du 10 janvier 1978 complétée par le décret n°81-198 du 25 février 1981, sur la protection et l'information des consommateurs, a créé une Commission des clauses abusives placée à côté du ministre chargé de la consommation qui peut rendre publiques ses recommandations. Cette dernière a compétence pour rechercher si les contrats utilisés par les commerçants, les industriels et les fournisseurs de services contiennent des clauses abusives. Elle rend des recommandations en vue de la suppression ou en vue des modifications qu'elle juge propres à la défense des consommateurs. Le Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 portant application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, énumère les cas d'abus de clauses abusives entre consommateurs et professionnels et il définit ceux dans lesquels, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, ces clauses sont réputées abusives. Il précise quelles sont les activités dans lesquelles ces dispositions ne s'appliquent pas, notamment, les transactions concernant les valeurs mobilières, les instruments financiers et les produits ou services dont le prix est lié aux fluctuations d'un cours, d'un indice ou d'un taux que le professionnel ne contrôle pas, les contrats d'achat ou de vente de devises, de chèques de voyage ou de mandats internationaux émis en bureau de poste et libellés en devises.
Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08) (1ère Chambre civile 16 mai 2018, pourvoi n°17-11337, BICC n°890 du 1er novembre 2018 et Legifrance).
Le juge du fond saisi par une banque lui demandant de condamner l'emprunteur à payer à la caution une certaine somme d'argent, doit rechercher d'office le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, en ce qu'elle est de nature à laisser croire que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'importance de l'inexactitude de cette déclaration et que l'emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme (1ère Chambre civile 10 octobre 2018, pourvoi n°17-20441, BICC n°896 du 15 février 2019 et Legifrance). Consulter la note de M. Philippe Métais et de Madame Elodie Valette, JCP. 2018, éd. G. II, 1304.
La position dominante est la situation d'inégalité dont bénéficie une entreprise ou un groupe d'entreprises à l'égard d'un client ou d'un fournisseur. Il en est ainsi lorsque, en raison de la notoriété dont jouit l'entreprise dominante, de l'importance de la part de marché qu'elle représente pour son co-contractant, de l'impossibilité dans laquelle se trouve ce dernier de se fournir ailleurs de produits ou de services équivalents, il se trouve dans une situation de dépendance économique. Remarquons que ce n'est pas l' inégalité dans les relations économiques qui est visé par l'article 8 de l'Ordonnance du 1er décembre 1966, mais l'exploitation abusive de la position dominante. Le simple fait qu'une entreprise détient la plus forte part du marché dans un secteur économique déterminé, ne constitue pas une condition suffisante pour la qualifier d'entreprise dominante. Par un arrêt du 16 septembre 2008 (aff. jointes C-468/06 à C-478/06, Sot. Lélos kai Sia EE e. a. c/ GlaxoSmithKline AEVE, communiqué), la Grande Chambre de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a jugé que "L'article 82 CE doit être interprété en ce sens qu'une entreprise détenant une position dominante sur le marché pertinent de médicaments qui, afin d'empêcher les exportations parallèles que certains grossistes effectuent d'un État membre vers d'autres États membres, refuse de satisfaire des commandes ayant un caractère normal passées par ces grossistes, exploite de façon abusive sa position dominante". De son côté, la Chambre commerciale a estimé que les articles L. 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE présupposent l'existence d'un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif qui n'est normalement pas présent lorsqu'une pratique abusive est mise en oeuvre sur un marché distinct du marché dominé (Chambre commerciale, 17 mars 2009, pourvoi n°08-14503, (affaire Glaxo), BICC n°707 du 15 septembre 2009 et Legifrance). Voir la note de M. Chevrier, référencée dans la Bibliographie ci-après. Consulter aussi les rubriques "Concentration" et "Ententes". Pour constater l'existence d'une domination collective sur un marché, il est nécessaire d'examiner les liens ou facteurs de corrélation économiques entre les entreprises concernées et, en particulier, de vérifier s'il existe des liens économiques entre ces entreprises qui leur permettent d'agir ensemble indépendamment de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs. Le juge du fond doit rechercher si, en l'absence d'ententes conclues avec leurs clients, les sociétés impliquées avaient pu disposer en commun de la possibilité de se comporter sur le marché en cause, dans une mesure appréciable, de façon indépendante vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs (Chambre commerciale, 7 juillet 2009, pourvoi n°08-15609 08-16094, BICC n°714 du 15 janvier 2010 et Legifrance).
Un dénigrement peut dans certains cas constituer un abus de position dominante.
La clause selon laquelle une banque peut, à tout moment, par courrier, en motivant sa décision, demander au titulaire du compte et/ou à son mandataire, la restitution du chéquier en sa possession, et qui, ainsi, prévoit la motivation de la demande de restitution du chéquier justifiant les raisons et l'urgence de cette mesure et, partant, met le consommateur en mesure d'en contester le bien-fondé, prévient suffisamment tout arbitraire et ne crée aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur. En revanche, une telle clause, si elle se borne à prévoir l'information par voie de circulaire de modifications substantielles apportées à la convention, sans que le client ait été prévenu à l'avance et ainsi mis en mesure, avant leur application, de les apprécier pour ensuite mettre pertinemment en oeuvre, dans le f fixé, son droit de les refuser, limite de façon inappropriée les droits légaux du consommateur de dénoncer la convention. Une telle clause a pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur (1ère Chambre civile, 28 mai 2009, pourvoi n°08-15802, BICC n°714 du 15 janvier 2010 et Legifrance). Consulter la note de M. Decocq référencée à la Bibliographie ci-après.
Dans le droit des sociétés, l'abus de majorité qui peut entraîner l'annulation d'une décision collective prise par une assemblée d'actionnaires, est caractérisée par le fait qu'elle a été prise au mépris de l' intérêt général de la société et dans le but unique de favoriser les actionnaires majoritaires qui l'ont votée, et ce, au détriment des actionnaires minoritaires qui ont refusé son adoption. Constitue un abus, par exemple, le fait, pour toute personne, de faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle, du fait, pour les dirigeants, d'opérer entre les associés la répartition de dividendes fictifs, en l'absence d'inventaire ou au moyen d'inventaires frauduleux, de présenter aux associés des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de dissimuler la véritable situation de la société, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, soit à des fins personnelles, soit pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. Consulter sur ce sujet, l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 3 mars 2006 (C. A. Lyon, 2 mars 2006, BICC n°640 du 15 mai 2006). Dans le même sens la Première Chambre civile a jugé (1ère CIV. - 4 avril 2006, BICC n°645 du 1er août 2006) que justifiait légalement sa décision d'annuler pour abus de majorité les délibérations de l'assemblée générale d'une association de commerçants fondée par deux grandes surfaces majoritaires, une cour d'appel ayant déduit souverainement de ses constatations que les résolutions votées, qui concouraient à limiter considérablement la charge financière des membres fondateurs tout en aggravant notoirement celle des autres adhérents, avaient été prises dans l'unique dessein de favoriser ces grandes surfaces et caractérisaient ainsi l'atteinte à l'intérêt collectif.
Il existe, bien que moins fréquemment, un abus de minorité lorsque des actionnaires minoritaires se regroupent pour faire obstruction à toute décision proposée par les organes de la société.
Pour ce qui est de l'abus dans l'exercice du droit de repentir reconnu au bailleur de locaux commerciaux ayant donné congé à son locataire, voir Repentir (Droit de -).
Textes
Bibliographie