par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. crim., 1er décembre 2015, 14-80394
Dictionnaire Juridique

site réalisé avec
Baumann Avocats Droit informatique

Cour de cassation, chambre commerciale
1er décembre 2015, 14-80.394

Cette décision est visée dans la définition :
Association




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


- L'association Mouvement raëlien international, partie civile,


contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 6e section, en date du 28 novembre 2013, qui a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile contre M. Olivier X..., du chef de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 octobre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BARBIER, les observations de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;

Vu les mémoires ampliatif et complémentaire produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des principes généraux du droit international privé, de l'article 3, du code civil, de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, de l'article préliminaire, des articles 2, 186, 198, 591, 592 et 593 du code de procédure pénale, insuffisance de motifs, défaut de base légale ;

" en ce qu'il a déclaré le mouvement raëlien international, en qualité de partie civile, irrecevable à agir au visa de l'article 2 du code de procédure pénale ;

" aux motifs que, pour dire que les faits dénoncés par la partie civile n'étaient pas caractérisés, l'ordonnance critiquée a fondé sa motivation sur trois considérations ; que le mouvement raëlien international est une association à but non lucratif dont le siège est à Genève et ne s'est pas conformée aux formalités prévues par l'article 5 de la Loi du 1er juillet 1901, pour obtenir la capacité d'ester en justice ; qu'il n'a pas d'existence en France et n'a pas produit la déclaration préalable prévue par cet article ; qu'il est inscrit sur la liste des sectes dangereuses par la Commission parlementaire sur les sectes de 1995, pour déduire de ces constatations qu'il ne saurait dès lors, constituer un groupe de personnes au sens de l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, protégé à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race ou encore une religion ; que ce faisant, le magistrat instructeur n'a pas dissocié le problème de la recevabilité de la constitution de partie civile au regard de son éventuelle capacité à agir, de celui des éléments constitutifs du délit dénoncé par cette dernière ; que, sur la question essentielle de savoir si le mouvement raëlien international est une association ayant la capacité juridique, il est constant que dans le but de se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme au regard de son arrêt du 15 Janvier 2009 et (ligue du monde islamique et organisation mondiale du secours islamique/ France), la chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 8 décembre 2009 affirmé que : " ¿ toute personne morale étrangère, qui se prétend victime d'une infraction, est habilitée à se constituer partie civile devant une juridiction française, dans les conditions prévues par l'article 2 du code de procédure pénale, même si elle n'a pas d'établissement en France et n'a pas fait de déclaration préalable à la préfecture ¿ ", mettant ainsi fin à la restriction d'accès au juge français pour les personnes morales étrangères n'ayant pas d'établissement en France ; que toutefois, ce principe étant posé, il ne peut être fait l'économie de s'interroger sur la capacité juridique de l'organisme ou l'association en cause, dès lors que tant la décision de la Convention européenne des droits de l'homme que celle de la Cour de cassation font affirmation de ce principe pour " les personnes morales " quelle que soit leur nationalité, dans le dessein, au visa des articles 6, § § 1 et 14 de la Convention, de leur reconnaître un égal accès au juge et à un tribunal indépendant et impartial ; qu'en effet, la cour considère que la personnalité juridique ne se présume pas et qu'il appartient au juge français de rechercher par tous moyen, y compris ceux fournis par l'association concernée, si le groupement, l'organisme ou dans l'espèce, le mouvement, a bien une existence réelle et la personnalité morale, et ce, afin de préserver l'égalité des droits entre les entités français et étrangères, évitant ainsi le paradoxe qui consisterait à conférer plus de droits à ces dernières, en ignorant les principes qui régissent celui d'agir en justice pour les personnes morales en général ; que, s'agissant du mouvement raëlien international, la cour observe qu'il fait plaider qu'il peut défendre ses intérêts sur le sol français car il a des activités en France et serait donc assimilable à une association de fait, non déclarée qui, même sans existence juridique propre, pourrait ester en justice ; que, toutefois, en page 5 et 8 des conclusions, on peut lire sous la plume de son avocat : « les associations de fait sont parfaitement légales mais jouissent selon les pays de droits et possibilités juridiques souvent moindres que les associations déclarées selon un régime légal.... " et encore : "... le droit au juge n'est pas une prérogative absolue, dans la mesure où les Etats ont la possibilité de lui apporter des restrictions..... " ; qu'ainsi, au soutien de sa plainte avec constitution de partie civile, le mouvement raëlien international a-t-il produit deux copies de statuts, non datés, dont l'une d'elles est annexée à un procès-verbal d'assemblée générale constitutive du mouvement de 1977, et dont on peut comprendre qu'il s'agit de statuts initiaux ; que ces deux documents intitulés " statuts du mouvement raëlien international " comportent chacun vingt articles rédigés en termes identiques, la seule différence résidant dans l'adresse déclarée qui n'est d'ailleurs pas celle de la plainte, et font tous deux référence à la législation Suisse en leur article 1 ainsi libellé : « L'association dénommée mouvement raëlien international est une association à but idéal et sans but lucratif. Elle est organisée corporativement, régie par les articles 60 et suivants du code civil Suisse " ; que leur article 2 en précise l'objet, soit : " L'association a pour but d'assurer de bonnes relations avec les extra-terrestres et de préparer les habitants de notre planète à leur venue. L'association veille aux intérêts de ses membres et peut, pour cette raison engager des procédures judiciaires et prendre toutes autres mesures pour sauvegarder les intérêts et libertés de ses membres " ; que la partie civile n'a pas cru devoir joindre à sa plainte, les articles du code civil Suisse applicable, lesquels étaient nécessaires afin de permettre à la juridiction saisie de la question portant sur la personnalité juridique de l'association, d'en connaître les modalités d'acquisition et de dissolution, de sorte que la cour ne peut que constater que le Mouvement raëlien international ne rapporte pas la preuve qu'il est une " personne morale étrangère " au sens de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 décembre 2009, et qu'il peut en conséquence, étant investi de la capacité juridique, agir en justice, au visa de l'article 2 du code de procédure pénale ; que la cour relève encore que, si c'est la législation étrangère qui doit être appliquée au regard des conditions d'obtention de la personnalité juridique, c'est en revanche la législation française qui doit être respectée en ses principes, pour que soit appréciée la régularité de la saisine de la juridiction au regard de l'article 2 de ce code ; qu'or, à aucun moment, le signataire de la plainte, en l'espèce M. Y..., qui n'apparaît que sur une attestation sur papier libre en date du 2 août 2011, le désignant comme président du conseil de direction du Mouvement raëlien international, ne justifie avoir été habilité par l'assemblée générale à agir en justice, pour dénoncer les faits en cause, et alors que cette action spécifique ne résulte pas des attributions confiées à cet organe par l'article 16 des statuts produits dont l'actualité remonte à l'année 2009, selon attestation sur papier à en-tête des secrétaire et trésorier ; que la cour considère que si, comme le soutient l'avocat de l'appelant, le droit d'ester en justice est un droit fondamental, et s'il est constant que toute personne morale quelle que soit sa nationalité, a droit à ce que sa cause soit entendue, dans le respect des dispositions combinées des articles 6, alinéa 1, et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles 1 et 5 de son 1er Protocole additionnel, les Etats conservent le droit d'en aménager les modalités d'exécution, dans l'intérêt d'une bonne administration de la société civile, sans toutefois en altérer la substance, ni opérer de discrimination, tel étant le cas, s'agissant de l'interprétation de la législation de l'Etat compétent pour instruire la plainte ; qu'il résulte de ce qui précède que la preuve n'étant pas rapportée que le mouvement raëlien international, bénéficie de la personnalité juridique, et superfaitatoirement, que M. Y...a été habilité par l'assemblée générale de l'association à déposer plainte, il n'est pas utile de vérifier l'existence ou non des éléments constitutifs des infractions dénoncées, la partie civile étant irrecevable à agir au visa de l'article 2 du code de procédure pénale ;

" 1°) alors que, dès lors que le juge déclare la loi étrangère applicable, il doit en rechercher le contenu sans pouvoir opposer aux parties la charge de la preuve ; qu'en se bornant à relever que « la partie civile n'a pas cru devoir joindre à sa plainte, les articles du code civil suisse applicable, lesquels étaient nécessaires afin de permettre à la juridiction saisie de la question portant sur la personnalité juridique de l'association, d'en connaître les modalités d'acquisition et de dissolution » pour en déduire que « le Mouvement raëlien international ne rapporte pas la preuve qu'il est une " personne morale étrangère " au sens de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 décembre 2009 », quand la cour d'appel se devait d'examiner elle-même le droit étranger relativement à ces questions, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;

" 2°) alors que, et en tout cas, tenus d'examiner le contenu du droit étranger, les juges du fond devaient rechercher si, eu égard aux règles de droit suisse gouvernant la personnalité juridique des associations, le Mouvement raëlien international remplissait les conditions relatives à celle-ci ; qu'en s'abstenant de le faire, les juges du fond ont entaché leur décision d'un manque de base légale au regard des règles susvisées ;

" 3°) alors que, la procédure pénale doit être contradictoire et préserver l'équilibre des parties ; qu'en se plaçant, pour dire irrecevable la constitution de partie civile du Mouvement raëlien international, sur le terrain de la personnalité juridique du mouvement, quand cette question n'était pas dans le débat, sans inviter ce dernier à s'expliquer sur l'existence de celle-ci, les juges du fond ont violé les règles susvisées et notamment celles gouvernant le principe du contradictoire ;

" 4°) alors que, les règles régissant l'organisation du fonctionnement d'une personne morale étrangère sont déterminées par la loi de l'Etat de son siège ; qu'en relevant que « la législation française qui doit être respectée en ses principes, pour que soit appréciée la régularité de la saisine de la juridiction au regard de l'article 2 de ce code » pour en déduire qu'« à aucun moment, le signataire de la plainte, en l'espèce M. Y...(¿) ne justifie avoir été habilité par l'assemblée générale à agir en justice, pour dénoncer les faits en cause », les juges du fond ont fait application du droit français et partant ont violé les textes susvisés " ;

Vu l'article 3 du code civil et l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-424 du 7 novembre 2014 ;

Attendu qu'il se déduit du premier de ces textes qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ;

Attendu que les dispositions du second de ces textes ne sauraient priver les associations ayant leur siège à l'étranger, dotées de la personnalité morale en vertu de la législation dont elles relèvent mais qui ne disposent d'aucun établissement en France, de la qualité pour agir devant les juridictions françaises dans le respect des règles qui encadrent la recevabilité de l'action en justice ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 30 mars 2012, le Mouvement raëlien international (MRI) a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef notamment de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée ; que cette infraction ayant fait l'objet d'une disjonction, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu au visa de l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901, motif pris de ce que la partie civile ne disposait pas de la capacité d'ester en justice ; que l'association a interjeté appel ;

Attendu que pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction par substitution de motifs, la chambre de l'instruction retient que la preuve n'est pas rapportée que le MRI est une personne morale de nationalité étrangère et qu'il peut agir en justice, faute d'avoir communiqué les articles du code civil suisse applicables ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il lui incombait de rechercher, avec le concours des parties, la teneur du droit étranger qu'elle déclarait applicable, propre à établir l'existence de la personne morale, et de vérifier, le cas échéant, la capacité, au regard de ce droit, du directeur de la personne morale pour la représenter en justice, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 28 novembre 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier décembre deux mille quinze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.



site réalisé avec
Baumann Avocats Contrats informatiques

Cette décision est visée dans la définition :
Association


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.