par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 14 mars 2012, 11-13791
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
14 mars 2012, 11-13.791

Cette décision est visée dans la définition :
Régimes matrimoniaux




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 265, alinéa 1er, du code civil, ensemble l'article 1096, alinéa 2, du même code ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que le divorce est sans incidence sur une donation de biens présents faite entre époux et prenant effet au cours du mariage ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte notarié du 28 juillet 2006, M. X... a fait donation à son épouse commune en biens, Mme Y..., d'un droit viager d'usage et d'habitation portant sur un appartement, une cave et un parking lui appartenant en propre, l'acte comportant une clause, intitulée "condition de non divorce", aux termes de laquelle, "En cas de divorce ou de séparation de corps, ou, si une telle instance était en cours au jour du décès du donateur, la présente donation sera résolue de plein droit et anéantie" ; que, le 22 juillet 2008, M. X... a assigné son épouse en divorce pour altération définitive du lien conjugal et en constatation de la résolution de plein droit de la donation ;

Attendu que, pour décider que la clause de non-divorce stipulée à l'acte de donation est licite, que cette libéralité est privée d'effet en raison du prononcé du divorce et ordonner à Mme Y... de libérer les lieux occupés, l'arrêt énonce que si l'article 265 du code civil, spécifique au divorce, prévoit, dans son premier alinéa, que le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme, il n'interdit cependant pas aux époux de déroger par convention expresse à ce principe général, dont le caractère d'ordre public revendiqué par l'épouse ne ressort d'aucun élément, que s'il est exact que la condition de non-divorce est purement potestative en présence des dispositions des articles 237 et 238 de ce code instituant comme cause de divorce l'altération définitive du lien conjugal, cette nature ne condamne cependant pas la validité de cette clause qui échappe, selon l'article 947 du code précité, à la sanction de la nullité édictée par l'article 944 du même code, envers toutes les donations entre vifs sous des conditions dont l'exécution dépend de la seule volonté du donateur, qu'il résulte, enfin, des termes clairs et sans équivoque de la clause litigieuse que la donation est résolue en cas de divorce ou de séparation de corps, sans que son application soit réservée au seul jour du décès du donateur, que cette clause de non-divorce apparaît licite et que le prononcé du divorce des époux n'étant pas remis en cause devant la cour, la clause résolutoire de la donation est acquise ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions impératives du premier des textes susvisés font obstacle à l'insertion, dans une donation de biens présents prenant effet au cours du mariage, d'une clause résolutoire liée au prononcé du divorce ou à une demande en divorce, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation entraîne l'annulation par voie de conséquence de la disposition de l'arrêt relative à la fixation du montant de la prestation compensatoire ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré licite la clause de non-divorce insérée dans l'acte de donation du 8 juillet 2006, dit que cette donation est privée d'effet du fait du divorce des époux, ordonné à Mme Y... de libérer les lieux qu'elle occupe et, à défaut, ordonné son expulsion et en ce qu'il a fixé le montant de prestation compensatoire, l'arrêt rendu le 4 novembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils pour Mme Y....

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a déclaré licite la clause de non-divorce insérée dans l'acte de donation du 28 juillet 2006, dit que la donation du 28 juillet 2006 est privée d'effet par suite du divorce et ordonné à Madame Y... d'avoir à libérer les lieux ;

AUX MOTIFS QUE « les époux se sont mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts ; que par acte authentique du 28 juillet 2006 Philippe X... a fait donation à Hélène Y... qui l'a acceptée expressément, d'un droit viager d'usage et d'habitation portant sur un appartement, une cave et un parking situés ..., constituant un bien propre de Philippe X... ; que cet acte, comportant une clause intitulée "condition de non-divorce prévoyant qu'en cas de divorce ou de séparation de corps, ou, si une telle instance était en cours au jour du décès du donateur, la présente donation sera résolue de plein droit et anéantie", Philippe X... a souhaité reprendre les lieux à son profit et en expulser Hélène Y... ; que les parties s'opposent sur la validité de cette clause, point sur lequel il appartient à la cour de statuer, la réponse donnée à cette question étant de nature à influer sur l'appréciation, de la situation de chaque époux dans le cadre du débat sur la prestation compensatoire ; qu'il est soutenu par Hélène Y... que la clause de non-divorce est illicite comme contraire aux dispositions d'ordre public des articles 1096 et 265 1° alinéa du code civil dont il résulte que la donation entre époux de biens présents est irrévocable, qu'elle ajoute qu'à supposer cette clause licite au regard de ces textes, elle n'en insère pas moins dans la donation une condition purement potestative prohibée, ce qui la prive d'effet, et qu'elle fait enfin valoir que la condition insérée dans l'acte doit s'apprécier au jour du décès du donateur et qu'elle n'a pu produire d'effet antérieurement ; que l'article 1096 du code civil énonce le principe d'irrévocabilité des donations de biens présents prenant effet au cours du mariage faites entre époux, sauf dans le cas d'inexécution des charges, d'ingratitude ou de survenance d'enfants ; que l'article du même code, spécifique au divorce, prévoit dans son 1° alinéa que le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme ; que ce texte n'interdit cependant pas aux époux de déroger par convention expresse à ce principe général, dont le caractère d'ordre public revendiqué par Hélène Y... ne ressort d'aucun élément ; que s'il est exact que la condition de non divorce est purement potestative en présence des dispositions des articles 237 et 238 du code civil instituant comme cause de divorce l'altération définitive du lien conjugal, cette nature ne condamne cependant pas la validité de cette clause qui échappe, selon l'article 947 du code civil à la sanction de la nullité édictée par l'article 944 du même code envers toutes les donations entre vifs sous des conditions dont l'exécution dépend de la seule volonté du donateur ; qu'il résulte enfin des termes clairs et sans équivoque de la clause rappelée ci-dessus que la donation est résolue en cas de divorce ou de séparation de corps, sans réserver son application au seul jour du décès du donateur ; qu'ainsi, la clause de non divorce apparaît licite et que le prononcé du divorce des époux n'étant pas remis en cause devant la cour, la clause résolutoire de la donation est acquise et cette dernière privée de tout effet » ;

ALORS QUE, PREMIEREMENT, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2005 et visant les donations stipulées postérieurement à cette date, l'article 1096 du Code civil, s'agissant des donations de biens présents, n'autorise la révocation que dans les conditions prévues aux articles 953 à 958 du Code civil ; qu'il s'agit là d'une disposition d'ordre public rendant illicite les stipulations contraires, lesquelles doivent être tenues non écrites en tant que prohibées par le principe d'irrévocabilité spéciale des donations ; qu'en l'espèce, et aux termes de la donation du 28 juillet 2006, Monsieur X... donnait avec effet immédiat un droit d'usage et d'habitation sur certains lots de copropriété à Madame Y... avec effet du jour de la donation ; que la donation était certes assortie d'une clause ainsi libellé : « En cas de divorce ou de séparation de corps, ou, si une telle instance était en cours au jour du décès du donateur, la présente donation sera résolue de plein droit et anéantie » ; que toutefois, en tant que cette clause a été comprise comme conférant un droit potestatif de révocation à Monsieur X..., elle devait être réputée non écrite ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 6, 953 et 1096 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 ;


ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, l'article 265 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 et applicable aux procédures de divorce dont l'assignation est postérieure au 1er janvier 2005, exclut tout effet du divorce sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme ; qu'en tant qu'elle touche aux effets du divorce, cette disposition a un caractère d'ordre public et fait échec aux stipulations contraires qui ont pu être insérées à la donation ; qu'en statuant en sens inverse, pour faire produire effet à la stipulation de la donation du 28 juillet 2006 prévoyant une révocation en cas de divorce, les juges du fond ont violé les articles 6 et 265 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004.



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Régimes matrimoniaux


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.