par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 4 octobre 2017, 16-17518
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Cour de cassation, chambre sociale
4 octobre 2017, 16-17.518

Cette décision est visée dans la définition :
Droit du Travail




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° W 16-17. 517 et X 16-17. 518 ;

Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :

Vu le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le principe d'égalité de traitement, et l'accord d'entreprise de la société Munksjö Label Pack du 7 novembre 2002 ;

Attendu que les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d'accords d'entreprise négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de l'entreprise, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l'ensemble de cette entreprise et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que le 1er septembre 2002 la société Ahlstrom La Gère a fait l'objet d'une opération de fusion absorption par la société Ahlstrom Packaging devenue la société Ahlstrom Label Pack devenue Munksjö Label Pack ; que la société et les quatre syndicats représentatifs au sein de l'entreprise ont signé le 7 novembre 2002 un accord d'entreprise maintenant, mais seulement pour les salariés de l'établissement de La Gère, les conditions de rémunération du travail de nuit, du dimanche et des jours fériés, issues de divers accords conclus antérieurement à la fusion au sein de la société Ahlstrom La Gère ; qu'estimant subir une inégalité de traitement, M. X...et M. Y..., affectés à l'établissement de Stenay, ont saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que pour faire droit à leur demande, l'arrêt retient que l'accord d'entreprise « suite à fusion » motive le maintien des anciens accords par la volonté de la direction, sans autre précision, que l'argument soutenu par le contexte historique ne peut être retenu, aucun nouvel accord d'établissement n'ayant été conclu concernant l'établissement de La Gère postérieurement à la fusion absorption d'une société distincte, de sorte que les anciens accords ne s'appliquaient qu'aux salariés transférés, que si le site de La Gère est géré au niveau du groupe comme un établissement distinct, la traduction juridique en est qu'il s'est agi d'un établissement distinct jusqu'en juin 1997, d'une société distincte entre juillet 1997 et septembre 2002, et à nouveau d'un établissement distinct à partir de septembre 2002, de sorte que les accords collectifs signés en 1999 doivent être considérés au travers de la nature juridique réelle de l'entité signataire concernée, et non en fonction d'une gestion de groupe dans le cadre d'un contexte historique, qu'en maintenant les anciens accords, avant fusion, à l'ensemble des salariés travaillant sur le nouvel établissement de La Gère, soit ceux transférés mais également ceux embauchés postérieurement, les salariés travaillant au sein de l'établissement de Stenay ont fait l'objet d'une disparité de traitement qu'il convient de rémunérer ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, les arrêts rendus le 30 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne MM. Y...et X...aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen commun produit aux pourvois par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Munksjö Stenay.

Il est fait grief aux arrêts infirmatifs attaqués d'AVOIR dit que Messieurs Y...et Z... ont fait l'objet d'une disparité de traitement concernant la majoration des heures de travail du dimanche et des jours fériés, la majoration des heures de nuit et la prime de vacances et d'AVOIR condamné la société Munksjo Stenay à verser à Monsieur Y...la somme de 4. 252, 89 euros et à Monsieur Z... la somme de 5. 553 euros, à titre de rappel de salaire ;

AUX MOTIFS QU'« en l'espèce, (le salarié) est employé par la société Munksjö Label Pack et fait partie des effectifs de l'établissement de Stenay ; que la société Munksjö Label Pack comprend plusieurs établissements situés, à Stenay, Rottersac et Pont L'Evêque (La Gère) ; que des disparités des rémunérations existent entre les établissements de La Gère et de Stenay concernant la majoration des heures de travail du dimanche et des jours fériés, la majoration des heures de nuit et la prime de vacances, au désavantage invoqué de l'établissement de Stenay ; que c'est à la suite l'absorption, le 1er septembre 2002, de la société. Ahlström La Gère par la société Ahlström Packaging, devenue Ahlström Label Pack, devenue Munksjö Label Pack, que l'établissement La Gère et devenu un établissement distinct, antérieurement géré dans le cadre d'une société distincte ; que par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, et notamment en cas de fusion, l'engagement de portée collective pris par l'ancien employeur est opposable au nouveau ; que les conditions de rémunération des majorations pour travail de nuit et jours fériés des salariés de la société Ahlström La Gère datent de l'accord sur la réduction du temps de travail applicable à compter du 1er janvier 1998 sur l'établissement de La Gère, avec les avenants ultérieurs et le protocole accord de négociations 2002 du 14 février 2002, et, celles des salariés de l'établissement de Stenay, de l'accord sur la durée et l'aménagement du temps de travail et le protocole d'accord signé le 17 décembre 1999 ; qu'aucun accord de substitution ou d'harmonisation n'a été signé lors de la fusion absorption de la société Ahlström La Gère par la société Ahlström Packaging le 1er septembre 2002 ; que par application des dispositions de l'article L. 2261-14 du code du travail, lorsqu'aucune nouvelle convention ou nouvel accord n'a été mis en place lors, notamment, d'une fusion, les salariés Conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de la convention ou de l'accord en vigueur anciennement ; que lors de la fusion par absorption de la société Ahlström La Gère par la société Ahlström Packaging, un accord d'entreprise suite à fusion a été signé 7 novembre 2002 par la société Ahlström Labelpack prévoyant que, sur le « 2/ Statut Collectif : Les éventuels usages qui étaient en vigueur au sein de chacune des deux entreprises sont maintenus, mais limités à l'établissement d'origine. La volonté de la direction est, dans le cadre de la négociation de cet accord de maintenir, au sein de l'établissement de La Gère, les modalités d'organisation du temps de travail contenues dans les accords de l'ancienne société Ahlström La Gère. En conséquence les accords pour le site de Pont-L'Evêque sont maintenus. Les accords en place en sein de la société Ahlström Packaging ne sont pas affectés par cette opération juridique.... » ; qu'ultérieurement, lors de négociations annuelles obligatoires, une harmonisation a porté sur le volume d'heures mensuelles, sur la durée du travail, sur les mêmes contreparties salariales, sur le même nombre de factions, sur les mêmes arrêts programmés, laissant subsister les disparités initiales concernant la majoration des heures de travail du dimanche et des jours fériés, des heures de nuit, et la prime de vacances, entre les établissements de La Gère et de Stenay ; que par ailleurs, une opération juridique de fusion absorption ne modifie pas le caractère d'établissement du site de La Gère dans la nouvelle structure, exploité jusque-là dans le cadre d'une société distincte ; qu'au vu de ces éléments, les accords transmis lors de l'opération de fusion avec effet au 1er septembre 2002 devenus avantages individuels pour les salariés transférés, ont continué à s'appliquer à l'ensemble des salariés travaillant sur l'établissement de La Gère par application de l'accord d'entreprise suite à fusion signé 7 novembre 2002 par la société Ahlström Labelpack ; que l'accord d'entreprise suite à fusion signé le 7 novembre 2002 motive le maintien des anciens accords par la volonté de la direction, sans autre précision ; qu'il en résulte que la société Ahlström Packaging n'a pas fait application de raisons objectives à sa décision, autrement que par sa seule volonté, de sorte qu'une différence de traitement entre salariés des différents établissements de la société Ahlström Packaging, devenue Ahlström Label Pack, devenue Munksjö Label Pack, a eu lieu ; que l'argument soutenu par le contexte historique ne peut être retenu, aucun nouvel accord d'établissement n'ayant été conclu concernant l'établissement de La Gère postérieurement à la fusion absorption d'une société distincte, de sorte que les anciens accords ne s'appliquaient qu'aux salariés transférés ; que, de plus, si le site de La Gère est géré au niveau du groupe comme un établissement distinct, la traduction juridique en est qu'il s'est agi d'un établissement distinct jusqu'en juin 1997, d'une société distincte entre juillet 1997 et septembre 2002, et à nouveau d'un établissement distinct à partir de septembre 2002, de sorte que les accords collectifs signés en 1999, doivent être considérés au travers de la nature juridique réelle de l'entité signataire concernée, et non en fonction d'une gestion de groupe dans le cadre d'un contexte historique ; qu'en maintenant les anciens accords, avant fusion, à l'ensemble des salariés travaillant sur le nouvel établissement de La Gère, soit ceux transférés mais également ceux embauchés postérieurement, (le salarié) travaillant au sein de l'établissement de Stenay a fait l'objet d'une disparité de traitement qu'il convient de rémunérer » ;

1. ALORS QU'en cas de transfert d'entreprise, le nouvel employeur est légalement tenu de maintenir, au profit des salariés transférés, les avantages individuels acquis résultant des accords collectifs applicables au sein l'entité transférée, à défaut d'accord d'adaptation ou de substitution, et les usages anciennement applicables au sein de cette entité ; que lorsqu'une entreprise est absorbée par une autre et devient un établissement distinct de cette dernière, le maintien des avantages issus des accords collectifs et usages de l'entreprise absorbée à tous les salariés de ce nouvel établissement, y compris ceux embauchés après l'absorption, constitue un impératif social et ne méconnaît pas le principe d'égalité ; qu'en l'espèce, il est constant que les disparités de rémunération entre les salariés des établissements de La Gère et de Stenay de la société Ahlstrom Labelpack résultaient de ce qu'avant l'absorption de la société Ahlstrom La Gère, qui exploitait l'usine de La Gère, par la société Ahlstrom Packaging, qui exploitait l'usine de Stenay, ces deux entreprises avaient adopté, par voie d'accords collectifs et d'usage, des règles différentes en matière de rémunération des heures de nuit et des dimanches et des jours fériés ; que lors de l'absorption de la société Ahlstrom La Gère par la société Ahlstrom Packaging, alors renommée Ahlstrom Labelpack, l'usine de La Gère est devenue un établissement distinct et, à défaut d'accord de substitution ou d'adaptation, les salariés de cet établissement alors en poste devaient continuer à percevoir les avantages individuels acquis issus des accords d'entreprise de la société Ahlstrom La Gère et les avantages résultant des usages applicables au sein de cette dernière entreprise ; qu'un accord d'entreprise du 7 novembre 2002 a maintenu ces avantages à tous les salariés de cet établissement, y compris ceux embauchés postérieurement à l'absorption, sans aucune conséquence pour les salariés des autres établissements ; que la différence de traitement entre les salariés de l'établissement de La Gère et ceux de l'établissement de Stenay, qui résultait de ce maintien des avantages propres à l'établissement de La Gère, n'était donc pas contraire au principe d'égalité de traitement ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de traitement, ensemble les articles L. 1224-1 et L. 2261-14 du Code du travail ;

2. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE dès lors qu'elles ont été opérées par un accord collectif signé par des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, les différences de traitement entre les salariés d'établissements distincts sont présumées être justifiées, de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste d'apporter la preuve contraire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la différence de traitement entre les salariés de l'établissement de Stenay et les salariés de l'établissement de La Gère, en matière de majoration pour heures de nuit, de majoration du travail les dimanches et jours fériés et de prime de vacances, résultait de l'accord d'entreprise du 7 novembre 2002 ; que ces différences de traitement étaient donc présumées justifiées ; qu'en considérant néanmoins qu'il appartenait à l'employeur de fournir des raisons objectives et pertinentes à cette différence de traitement et qu'il n'apportait pas cette preuve dans la mesure où l'accord du 7 novembre 2002 se bornait à viser « la volonté de la direction » et où l'argument tiré du « contexte historique » ne peut être retenu, la cour d'appel a encore violé le Huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le principe d'égalité de traitement et l'accord du 7 novembre 2002 ;


3. ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE lorsqu'une différence de traitement est contestée, le juge doit vérifier concrètement la réalité et la pertinence des éléments de justification invoqués par l'employeur ; que la société exposante soutenait que la différence en matière de majoration des heures de nuit, des dimanches et des jours fériés et en matière de prime de vacances, entre les salariés de l'établissement de Stenay et ceux de l'établissement de La Gère est en tout état de cause justifiée par le fait que les deux établissements n'exercent pas une activité économique identique, que le coût de la vie dans les deux bassins d'emploi est très différent et que le salaire de base du personnel de La Gère est sensiblement inférieur à celui de l'établissement de Stenay ; qu'en s'abstenant d'examiner la réalité et la pertinence de ces éléments de justification parfaitement objectifs, au motif inopérant que l'accord d'entreprise du 7 novembre 2002 a motivé par « la volonté de la direction » le maintien au sein de l'établissement de La Gère des avantages issus du statut collectif anciennement applicable aux salariés de la société Ahlstrom La Gère, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe d'égalité de traitement.



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Droit du Travail


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.