par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 1, 24 septembre 2014, 11-19516
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
24 septembre 2014, 11-19.516
Cette décision est visée dans la définition :
Compétence
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 avril 2011), que les sociétés Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate solutions assurances ont, par acte du 24 septembre 2008, assigné, devant un tribunal de commerce, en paiement de diverses sommes, les sociétés Ziegler France, Montgomery Transport SARL, Inko Trade, Jaroslav Mateja ; que la première a soulevé une exception de litispendance au profit de la High Court de Londres qu'elle avait saisie par acte du 16 septembre 2008 ; que la cour d'appel s'est dessaisie au profit de la juridiction anglaise dans le litige opposant les sociétés Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate solutions assurances à la société Ziegler France ; que, par arrêt du 19 décembre 2012 (Bull., I, n° 272), la première chambre civile a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 27, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000 ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que le moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le second moyen, pris en ses diverses branches, ci-après annexé :
Attendu que les sociétés Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate solutions assurances font grief à l'arrêt de se dessaisir au profit de la High Court de Londres, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes de l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000, la compétence du tribunal saisi en premier lieu n'est établie qu'à partir du moment où elle est formellement reconnue par ce tribunal au travers d'une décision rejetant explicitement son incompétence ou au travers de l'épuisement des voies de recours pouvant être exercées contre sa décision de compétence ; qu'en considérant néanmoins que la compétence de la High Court de Londres était « établie » au sens de l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000, dès lors que cette compétence n'aurait pas été contestée, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;
2°/ subsidiairement, qu'en considérant devoir se dessaisir du litige en relevant que la compétence de la High Court de Londres n'était pas contestée « comme cela semble le cas », la cour d'appel s'est prononcée par un motif dubitatif méconnaissant les exigences de motivation s'évinçant de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États membres différents, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit dès lors que la compétence du tribunal premier saisi est établie ; qu'en considérant qu'une « identité partielle pour les principaux intervenants » suffisait à satisfaire à l'exigence d'identité de parties inscrite à l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;
4°/ que lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États membres différents, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit dès lors que la compétence du tribunal premier saisi est établie ; qu'en considérant que la condition d'identité d'objet était satisfaite en se bornant à relever que les deux instances avaient trait aux « responsabilités encourues du fait du même événement dommageable représenté par le vol de la marchandise » sans s'assurer de l'identité de résultat recherché par les plaideurs au travers des deux instances respectivement introduites devant le juge anglais et le juge français, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000 ;
Mais attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a, par arrêt du 27 février 2014, dit pour droit : « L'article 27, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, sous réserve de l'hypothèse où le tribunal saisi en second lieu disposerait d'une compétence exclusive en vertu de ce règlement, la compétence du tribunal saisi en premier lieu doit être considérée comme établie, au sens de cette disposition, dès lors que ce tribunal n'a pas décliné d'office sa compétence et qu'aucune des parties ne l'a contestée avant ou jusqu'au moment de la prise de position considérée, par son droit procédural national, comme la première défense au fond présentée devant ledit tribunal » ;
Attendu, ensuite, qu'ayant retenu que la compétence de la High Court n'avait pas été contestée par les parties et que celle-ci ne l'avait pas déclinée d'office, la cour d'appel en a exactement déduit que la compétence de la juridiction anglaise était établie au sens de l'article 27 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;
Attendu, enfin, qu'ayant relevé que les deux instances avaient trait aux responsabilités encourues du fait du même événement dommageable représenté par le vol de marchandise, et qu'elles opposaient les mêmes parties, la cour d'appel, qui a, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, caractérisé, au sens de l'article précité, une identité d'objet et une identité de parties, fut-elle partielle, dans les deux instances pendantes, en a exactement déduit que la juridiction anglaise, première saisie, était compétente ;
D'où il suit que le moyen, qui, en sa deuxième branche critique un motif surabondant de l'arrêt, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate solutions assurances aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate solutions assurances à payer la somme de 2 000 euros à la société Ziegler France et celle de 2 000 euros à la société Groupama transport ; rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Roger, Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Cartier parfums-lunettes et autre
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce que le Tribunal a déclaré recevable l'exception de litispendance et s'est dessaisi au profit de la High Court de Londres dans le litige opposant les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions à la société Ziegler, d'avoir déclaré irrecevable la demande subsidiaire formulée par les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions, d'avoir condamné solidairement les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions à payer les sommes de 2.000 euros à la société Ziegler et 1.500 euros à la société Groupama Transports en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et d'avoir condamné les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions aux entiers dépens ;
Aux motifs, sur la recevabilité de l'exception de litispendance, qu'en vertu de l'article 74 du Code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir à peine d'irrecevabilité ; qu'il est de jurisprudence constante que la procédure étant orale devant le tribunal de commerce, il importe peu que des conclusions aient été déposées, les exceptions de procédure pouvant encore être développées en cours d'audience, à la condition toutefois qu'elles aient été développées avant tout débat exprimé au fond ; qu'il résulte de la lecture de la décision attaquée que la société Ziegler a soulevé oralement l'incompétence du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing au motif de la procédure engagée en Angleterre ; que ses adversaires se sont opposés au seul motif que des conclusions écrites avaient été déposées sur le fond préalablement ; qu'il se déduit de cette lecture que le débat sur le fond n'était pas entamé ; que dès lors, il est clair que le simple dépôt de conclusions au fond ne pouvait faire obstacle au développement oral d'une exception de procédure telle que la litispendance ;
Alors qu'il résulte de l'article 446-4 du Code de procédure civile, issu du décret n° 2010-1165 en date du 1er octobre 2010 et applicable aux procédure en cours, que la date des prétentions et des moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre parties ; qu'en déclarant recevable l'exception de litispendance soulevée à la barre par la société Ziegler après avoir constaté que cette partie avait initialement déposé des écritures valant conclusions au fond du litige, la Cour d'appel a simultanément méconnu la disposition susvisée, avec les articles 74 du Code de procédure civile et 871 ancien, devenu l'article 860-1, du même Code ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce que le Tribunal s'est dessaisi au profit de la High Court de Londres dans le litige opposant les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions à la société Ziegler, d'avoir déclaré irrecevable la demande subsidiaire formulée par les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions, d'avoir condamné solidairement les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions à payer les sommes de 2.000 euros à la société Ziegler et 1.500 euros à la société Groupama Transports en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et d'avoir condamné les sociétés Cartier Parfums Lunettes et Axa Corporate Solutions aux entiers dépens ;
Aux motifs, sur le bien fondé de l'exception de litispendance, qu'il est justifié par la pièce n°1 que la société Ziegler a bien déposé le 16 septembre 2008 devant la High Court de Londres une « claim form » qui a été enregistrée contre les sociétés Saflog, Cartier Parfums et Cartier Lunettes et une société anglaise Wright Kerr Tyson LTD ; qu'il n'est pas contesté qu'il s'agit bien d'un acte introductif d'instance et qu'il est antérieur à l'assignation délivrée le 24 septembre 2008 par la société Cartier Parfums Lunettes contre la société Ziegler et les sous-traitants ; que la lecture de cette assignation ne laissant aucun doute sur le fait qu'il s'agit du même transport, issu d'un expéditeur Saflog pour le compte de Cartier pour l'Angleterre ; qu'en vertu de l'article 27 du Règlement de Bruxelles 44/2001, applicable au cas d'espèce, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant les juridictions d'Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal du premier saisi soit établie et lorsqu'elle l'est le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci ; que conformément à la jurisprudence de la Cour de justice européenne, il apparaît que l'établissement de la compétence du juge saisi en premier ne s'entend pas d'une reconnaissance formelle de sa part mais bien plutôt du fait qu'elle n'a pas été contestée, la doctrine s'accordant à dire que si aucune exception n'a été opposée, comme cela semble le cas, et que le juge ne s'est pas déclaré d'office incompétent, la condition est réalisée, le premier juge en étant informé par les écritures des parties ; qu'il n'est d'ailleurs pas prétendu par les demandeurs au contredit qu'ils aient soulevé une telle exception, sachant que le procès se poursuit et que des conclusions ont été échangées ; que dès lors, le dessaisissement n'est pas choquant ; que reste la question de savoir si les deux procès opposent les mêmes parties ; qu'il n'est pas discutable que l'ensemble des intervenants fait partie d'une chaîne de transport, que nécessairement la responsabilité de la société Ziegler discutée devant la High Court aura des répercussions sur les sociétés Montgomery Transport, Inko Trade et Jaroslav Mateja qui ne font pas partie du procès londonien ; que pour autant s'il n'y a pas identité total des parties aux deux instances pendantes, il y a identité partielle pour les principaux intervenants et lien indissociable entre ces principaux acteurs et ceux qui sont assignés devant le tribunal français ; qu'en outre, leur positionnement, en demande ou en défense est différent ; que dès lors, les conditions de la litispendance sont réunies, les mêmes instances mettant en cause les mêmes parties pour qu'il soit statué sur le même objet, soit les responsabilités encourues du fait du même événement dommageable représenté par le vol de la marchandise ; que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing ne pouvait que se dessaisir au profit de la High Court, ce qu'il a fait et ce que la cour confirme ;
Alors, de première part, qu'aux termes de l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000, la compétence du Tribunal saisi en premier lieu n'est établie qu'à partir du moment où elle est formellement reconnue par ce Tribunal au travers d'une décision rejetant explicitement son incompétence ou au travers de l'épuisement des voies de recours pouvant être exercées contre sa décision de compétence ; qu'en considérant néanmoins que la compétence de la High Court de Londres était « établie » au sens de l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000, dès lors que cette compétence n'aurait pas été contestée, la Cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;
Alors, de deuxième part, subsidiairement, qu'en considérant devoir se dessaisir du litige en relevant que la compétence de la High Court de Londres n'était pas contestée « comme cela semble le cas », la Cour d'appel s'est prononcée par un motif dubitatif méconnaissant les exigences de motivation s'évinçant de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Alors, de troisième part, que lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États membres différents, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit dès lors que la compétence du tribunal premier saisi est établie ; qu'en considérant qu'une « identité partielle pour les principaux intervenants » suffisait à satisfaire à l'exigence d'identité de parties inscrite à l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000, la Cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;
Alors, de quatrième part, que lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États membres différents, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit dès lors que la compétence du tribunal premier saisi est établie ; qu'en considérant que la condition d'identité d'objet était satisfaite en se bornant à relever que les deux instances avaient trait aux « responsabilités encourues du fait du même événement dommageable représenté par le vol
de la marchandise » sans s'assurer de l'identité de résultat recherché par les plaideurs au travers des deux instances respectivement introduites devant le juge anglais et le juge français, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 27 du Règlement du Conseil n° 44/2001 en date du 22 décembre 2000 ;
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Compétence
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.