par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 19 novembre 2015, 14-25162
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
19 novembre 2015, 14-25.162

Cette décision est visée dans la définition :
Exequatur




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 mars 2014), que, par jugement du tribunal de Thiès (Sénégal) du 8 avril 1983, déclaré exécutoire par ordonnance du 19 juin 2012, la société Bouygues construction a été condamnée à payer diverses sommes à la société Sodevit ; que, le 20 novembre 2012, cette dernière a fait délivrer à la société Bouygues construction un commandement de payer aux fins de saisie-vente ;

Attendu que la société Sodevit fait grief à l'arrêt de dire que le commandement doit produire ses effets à hauteur de la somme principale de 206 806,17 euros, augmentée seulement des intérêts au taux légal français à compter du 19 juin 2012, ainsi que sur la somme de 1 000 euros allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sur le coût de l'acte, alors, selon le moyen :

1°/ que l'extrait du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, versé au débat, indique clairement, sous l'article 8 de ce code, que la cour d'appel de Dakar jugeait depuis un arrêt du 20 septembre 1971 que les intérêts moratoires, dus de plein droit, n'avaient pas à être demandés et que si, par un arrêt du 22 mars 1985, elle a décidé le contraire, elle est ensuite revenue à sa jurisprudence de 1971, par un arrêt Sény c/Robert du 15 juin 1990 ; qu'en estimant, au regard du seul arrêt du 22 mars 1985, qu'en droit sénégalais les intérêts moratoires devaient être expressément demandés, la cour d'appel a dénaturé la loi sénégalaise et violé les articles 3 et 1134 du code civil ;

2°/ qu'il incombe au juge français qui applique une loi étrangère de rechercher la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l'Etat concerné ; que le juge doit, par tous les moyens, au besoin par lui-même, s'assurer que les éléments de preuve produits par les parties rapportent le droit étranger tel qu'il est réellement appliqué dans cet Etat ; qu'en se fondant, pour considérer que les intérêts devaient être demandés, sur un unique arrêt de la cour d'appel de Dakar du 22 mars 1985, sans s'assurer que cette jurisprudence reflétait réellement le droit positif appliqué par les juridictions sénégalaises, au regard notamment des autres arrêts mentionnés sous l'article 8 du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ensemble les articles 47 et 52 de la Convention franco-sénégalaise de coopération en matière judiciaire du 29 mars 1974 ;

3°/ que le juge français doit examiner la portée d'un jugement étranger à la lumière du droit positif en vigueur à la date du jugement ; qu'en se fondant, pour considérer que le jugement du 8 avril 1983 n'avait pas implicitement condamné la société Dragages et travaux publics au paiement des intérêts moratoires, sur un arrêt de la cour d'appel de Dakar du 22 mars 1985, qui lui était donc postérieur, sans rechercher si, à la date du 8 avril 1983, le droit positif en vigueur, tel qu'il résultait notamment de l'arrêt du 20 septembre 1971, ne prévoyait pas que les intérêts moratoires n'avaient pas à être demandés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil ;

4°/ à titre subsidiaire, que les intérêts moratoires afférents à une condamnation à des dommages-intérêts exéquaturée, qui ne sont pas liés au caractère exécutoire de la condamnation, sont dus, non pas à compter du jour où le jugement étranger portant condamnation est devenu exécutoire en France mais à compter du jour de son prononcé ; qu'en considérant que les intérêts moratoires n'ont commencé à courir qu'à compter de la décision d'exequatur du jugement du 8 avril 1983 et non à compter du jugement lui-même, la cour d'appel a violé l'article 1153-1 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant exactement retenu, par motifs propres et adoptés, que le jugement étranger produisait ses effets sur le territoire français selon la loi du for, la cour d'appel a justement soumis les intérêts moratoires à l'article 1153-1 du code civil à compter de la décision d'exequatur ;

D'où il suit que le moyen, dont les trois premières branches sont inopérantes comme critiquant des motifs surabondants, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sodevit aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Bouygues construction la somme de 3 000 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société Sodevit

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le commandement de saisie-vente délivré le 20 novembre 2012 à la requête de la société SODEVIT et à l'encontre de la société BOUYGUES CONSTRUCTION devait produire ses effets à hauteur de la somme principale de 206.806,17 euros augmentée seulement des intérêts au taux légal français à compter du 19 juin 2012, ainsi que sur la somme de 1.000 euros allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sur le coût de l'acte ;

1) AUX MOTIFS QUE selon l'article 8 du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal, les intérêts moratoires sont dus, sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte, et n'excèdent pas, sauf convention contraire, les intérêts légaux ; que selon l'article 11 de la loi sénégalaise n° 81-25 du 25 juin 1981 relative à la répression des opérations usuraires et au taux d'intérêt, le taux légal est égal au taux d'escompte normal pratiqué par la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest à la date de la prise d'effet du contrat, majoré d'un point en matière civile et deux points en matière commerciale ; que l'article 12 dispose qu'« en cas de condamnation au paiement au taux d'intérêt légal, celui-ci est majoré de moitié à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, même par provision » ; qu'il est constant que le tribunal de première instance de THIES a condamné la société DRAGAGES ET TRAVAUX PUBLICS « à payer à la société SODEVIT la somme de 135.000.000 de francs (CFA) à titre de dommages et intérêts » ;
que BOUYGUES CONSTRUCTION fait à juste titre valoir que la décision d'exequatur du tribunal de grande instance de VERSAILLES du 19 juin 2012 ne peut rendre exécutoire en France que les termes du dispositif du jugement du tribunal de THIES du 8 avril 1983, à la lumière du droit sénégalais ; que force est de constater que cette décision n'a pas assorti la condamnation prononcée des intérêts au taux légal et qu'aucune disposition de la loi sénégalaise ne prévoit, ainsi que le fait la loi française, que la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement ; qu'au contraire, selon la cour d'appel de DAKAR (arrêt du 22 mars 1985), si les intérêts sont de droit au sens de l'article 8 du code des obligations civiles et commerciales, ils doivent être demandés ; qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi ;

que c'est à juste titre que BOUYGUES CONSTRUCTION fait valoir qu'en l'absence de condamnation à intérêts, le jugement d'exequatur ne pouvait rendre exécutoire un taux d'intérêt courant depuis le jugement du 8 avril 1983 ; qu'en effet, la loi sénégalaise ne permet pas de considérer que les intérêts au taux légal, voire au taux légal majoré auraient couru de plein droit à compter du prononcé du jugement, même exécutoire par provision ;

ALORS, D'UNE PART, QUE l'extrait du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, versé au débat (pièce 14 des conclusions SODEVIT), indique clairement, sous l'article 8 de ce code, que la cour d'appel de Dakar jugeait depuis un arrêt du 20 septembre 1971 que les intérêts moratoires, dus de plein droit, n'avaient pas à être demandés et que si, par un arrêt du 22 mars 1985, elle a décidé le contraire, elle est ensuite revenue à sa jurisprudence de 1971, par un arrêt Sény c/ Robert du 15 juin 1990 ; qu'en estimant, au regard du seul arrêt du 22 mars 1985, qu'en droit sénégalais les intérêts moratoires devaient être expressément demandés, la cour d'appel a dénaturé la loi sénégalaise et violé les articles 3 et 1134 du code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'il incombe au juge français qui applique une loi étrangère de rechercher la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l'Etat concerné ; que le juge doit, par tous les moyens, au besoin par lui-même, s'assurer que les éléments de preuve produits par les parties rapportent le droit étranger tel qu'il est réellement appliqué dans cet Etat ; qu'en se fondant, pour considérer que les intérêts devaient être demandés, sur un unique arrêt de la cour d'appel de Dakar du 22 mars 1985, sans s'assurer que cette jurisprudence reflétait réellement le droit positif appliqué par les juridictions sénégalaises, au regard notamment des autres arrêts mentionnés sous l'article 8 du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ensemble les articles 47 et 52 de la Convention franco-sénégalaise de coopération en matière judiciaire du 29 mars 1974 ;

ALORS, D'UNE TROISIEME PART, QUE le juge français doit examiner la portée d'un jugement étranger à la lumière du droit positif en vigueur à la date du jugement ; qu'en se fondant, pour considérer que le jugement du 8 avril 1983 n'avait pas implicitement condamné la société DRAGAGES ET TRAVAUX PUBLICS au paiement des intérêts moratoires, sur un arrêt de la cour d'appel de Dakar du 22 mars 1985, qui lui était donc postérieur, sans rechercher si, à la date du 8 avril 1983, le droit positif en vigueur, tel qu'il résultait notamment de l'arrêt du 20 septembre 1971, ne prévoyait pas que les intérêts moratoires n'avaient pas à être demandés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil ;

2) ET AUX MOTIFS QU'à compter du jugement d'exequatur, la condamnation étrangère devient exécutoire dans l'ordre juridique français ;
que c'est alors la loi française, en tant que loi de procédure, qui s'applique à l'exécution de la décision étrangère ; que c'est dès lors en faisant une exacte application des principes du droit international privé que le premier juge a considéré que le jugement étranger devenu exécutoire, produit ses effets sur le territoire français selon la loi du for et que les dispositions de l'article 1153-1 du code civil relatives aux intérêts au taux légal devaient s'appliquer à compter de la décision d'exequatur, soit à compter du 19 juin 2012 ;


ALORS, à titre subsidiaire, QUE les intérêts moratoires afférents à une condamnation à des dommages-intérêts exéquaturée, qui ne sont pas liés au caractère exécutoire de la condamnation, sont dus, non pas à compter du jour où le jugement étranger portant condamnation est devenu exécutoire en France mais à compter du jour de son prononcé ; qu'en considérant que les intérêts moratoires n'ont commencé à courir qu'à compter de la décision d'exequatur du jugement du 8 avril 1983 et non à compter du jugement lui-même, la cour d'appel a violé l'article 1153-1 du code civil.



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Cette décision est visée dans la définition :
Exequatur


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.