par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 3, 8 avril 2010, 08-70338
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Cour de cassation, 3ème chambre civile
8 avril 2010, 08-70.338
Cette décision est visée dans la définition :
Propriété commerciale
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant retenu que la société Jasmin démontrait qu'elle s'était maintenue dans les lieux loués depuis le 31 octobre 2001 malgré le bail conclu avec Mme X..., son associée majoritaire, qui n'était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, qu'elle justifiait que le commerce exploité était resté le même, avec la même enseigne, qu'elle avait réglé les loyers, notamment en 2003, qu'elle avait toujours payé l'électricité, le téléphone et la taxe professionnelle et que Mme Y... avait agi en fraude des droits de la société Jasmin, qui était réputée bénéficier des dispositions statutaires à l'expiration du bail initial, en concluant le 7 octobre 2001, en toute connaissance de cause un deuxième bail dérogatoire avec un prête-nom, la cour d'appel, qui a pu en déduire que cette fraude commise par la bailleresse, dans le but d'éluder le statut des baux commerciaux, avait suspendu la prescription pendant la durée du bail conclu avec Mme X..., a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, qui est recevable :
Vu l'article L. 145-5 du code de commerce dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout ;
Attendu que les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du chapitre V du titre IV du livre premier du code de commerce à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans ; que si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions de ce chapitre ; qu'il en est de même en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 octobre 2008), que, par acte du 24 novembre 1999, Mme Y... a donné à bail à la société Jasmin, pour une durée de 23 mois s'achevant le 31 octobre 2001, des locaux à usage commercial ; que par acte du 7 octobre 2001, Mme Y... a donné à bail à Mme X..., associée majoritaire de la société Jasmin, les mêmes locaux pour une durée de 23 mois s'achevant le 6 octobre 2003 ; que par un troisième contrat, Mme Y... a donné à bail les mêmes locaux à la société Jasmin pour une durée de 23 mois s'achevant le 6 septembre 2005 ; que Mme Y... ayant manifesté le 20 octobre 2005 son intention de mettre fin à ce dernier bail, la société Jasmin l'a assignée pour se voir reconnaître le bénéfice du statut des baux commerciaux ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que la société Jasmin a valablement renoncé au droit à la propriété commerciale qu'elle avait acquise depuis le 1er novembre 2001 en signant un nouveau bail dérogatoire le 2 octobre 2003, contenant une clause expresse, non équivoque, de renonciation au bénéfice du statut des baux commerciaux ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la fraude commise lors de la conclusion de baux dérogatoires successifs interdit au bailleur de se prévaloir de la renonciation du preneur au droit à la propriété commerciale, la cour d'appel, qui a relevé que Mme Y..., en concluant un deuxième bail dérogatoire avec Mme X..., associée majoritaire de la société Jasmin, avait agi en fraude des droits de cette société, réputée bénéficier des dispositions statutaires depuis l'expiration du bail initial, et qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir de prescription biennale soulevée par Mme Y..., l'arrêt rendu le 2 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne Mme Y... aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Y... ; la condamne à payer à la société Jasmin la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat aux Conseils, pour la société Jasmin "P'ti Mec et P'tite Nana".
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la SARL JASMIN a valablement renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux, acquis depuis le 1er novembre 2001, en signant un nouveau bail dérogatoire le 2 octobre 2003, contenant une clause expresse et non équivoque de renonciation à la propriété commerciale, déclaré la SARL JASMIN occupante sans droit ni titre depuis le 6 septembre 2005 des locaux, sis ... à JUAN LES PINS (06) appartenant à Martine Y..., ordonné l'expulsion de la SARL JASMIN et de tous occupants de son chef des lieux occupés, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, passé un délai de deux mois à compter de la date de signification du présent arrêt, condamné la SARL JASMIN à payer à Martine Y..., en deniers ou quittances, une indemnité d'occupation mensuelle, égale au montant du dernier loyer en cours au 6 septembre 2005, charges et taxes en sus, jusqu'à la libération définitive des locaux ;
AUX MOTIFS QU'en concluant un premier bail dérogatoire avec la SARL JASMIN le 24 novembre 1999 puis un deuxième bail dérogatoire le 7 octobre 2001 avec Madame X..., associée majoritaire de la SARL JASMIN, pour l'exploitation effective du même fonds de commerce par la même personne, l'identité différente du deuxième preneur ne correspondant qu'à un prête-nom pour faire échec au statut des baux commerciaux, Martine Y... avait agi en fraude des droits du preneur véritable, la SARL JASMIN, laquelle était réputée bénéficier des dispositions statutaires à compter de l'expiration du bail initial ; en effet, la SARL JASMIN démontre amplement qu'elle s'est maintenue dans les lieux loués depuis le 31 octobre 2001, malgré le bail conclu avec madame X..., cette dernière n'étant pas immatriculée au Registre du commerce et des Sociétés ; que la SARL JASMIN justifie que le commerce exploité est resté le même, avec la même enseigne, qu'elle a réglé elle-même les loyers notamment en 2003, et qu'elle a toujours payé l'électricité, le téléphone et la taxe professionnelle ; que par ailleurs, c'est bien en toute connaissance de sa qualité de prête-nom de la SARL JASMIN que Martine Y... a signé un bail dérogatoire avec Madame X... pour, ensuite, souscrire un troisième bail dérogatoire avec la SARL JASMIN pour les mêmes locaux le 2 octobre 2003 ; que c'est valablement que la SARL JASMIN a renoncé au droit à la propriété commerciale, qu'elle avait acquis depuis le 1er novembre 2001, en signant un nouveau bail dérogatoire le 2 octobre 2003, contenant une clause expresse, non équivoque, de renonciation au bénéfice du statut des baux commerciaux ; que ces dispositions contractuelles très explicites caractérisent une renonciation valable à la propriété commerciale par la SARL JASMIN et ce d'autant que cette même clause de renonciation figure dans les deux précédents baux dérogatoires dont elle se prévaut ce qui n'a pu qu'attirer son attention sur l'importance de ladite clause ; qu'ainsi, la SARL JASMIN commerçante et donc professionnelle avertie, a renoncé en toute connaissance de cause au bénéfice du statut des baux commerciaux en signant le bail dérogatoire, en date du 2 octobre 2003 ; dès lors, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que Martine Y... bailleresse et la SARL JASMIN locataire, seraient liées par un bail commercial, intervenu le 7 octobre 2001 et soumis aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce ;
ALORS QUE, d'une part, la fraude commise lors de la conclusion de baux dérogatoires interdit au bailleur de se prévaloir de la renonciation du preneur au droit à la propriété commerciale ; qu'ainsi, la Cour d'appel, qui, tout en admettant que c'était frauduleusement que la bailleresse avait eu recours à un prête-nom pour conclure avec la société JASMIN un deuxième bail dérogatoire, a jugé que cette dernière avait valablement renoncé au statut des baux commerciaux lors de la signature d'un troisième bail dérogatoire, a violé l'article L. 145-5 du Code de commerce et méconnu la règle « fraus omnia corrumpit » ;
ALORS QUE, d'autre part, le preneur ne peut renoncer à la propriété commerciale acquise par son maintien dans les lieux à l'expiration d'un premier bail dérogatoire que s'il avait une parfaite conscience de l'étendue de ses droits ; qu'ainsi, en l'espèce où le second bail dérogatoire susceptible de procurer le bénéfice de la propriété commerciale avait été conclu non avec la SARL JASMIN mais avec son associée, la Cour d'appel, en considérant que la SARL JASMIN avait acquis, à l'occasion de la conclusion de ce second bail, la propriété commerciale à laquelle elle avait valablement renoncé, en signant un troisième bail dérogatoire contenant une clause expresse de renonciation, a violé les articles L. 145-5 du Code de commerce et 1134 du Code civil.
Moyen produit AU POURVOI INCIDENT EVENTUEL par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme Y....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription biennale soulevée par Martine Y... ;
Aux motifs que la Sarl Jasmin, revendiquant la propriété commerciale à compter du bail du 7 octobre 2001 ou du 7 novembre 2001, date d'effet de ce bail, qui lui ouvrirait le droit à l'application du statut des baux commerciaux, il suit que son action s'est normalement prescrite au plus tard le 7 novembre 2003 ; que l'assignation introductive d'instance étant en date du 5 septembre 2005, la Sarl Jasmin ne serait donc plus recevable à agir en requalification du bail du 7 octobre 2001 en bail commercial ; qu'en concluant un premier bail dérogatoire avec la sarl Jasmin le 24 novembre 1999 puis un deuxième bail dérogatoire le 7 octobre 2001 avec Mme X..., associée majoritaire de la Sarl Jasmin, pour l'exploitation effective du même fonds de commerce par la même personne, l'identité différente du deuxième preneur ne correspondant qu'à un prête-nom pour faire échec au statut des baux commerciaux, Martine Y... avait agi en fraude des droits du preneur véritable, la Sarl Jasmin, laquelle était réputée bénéficier des dispositions statutaires à compter de l'expiration du bail initial ; que la Sarl Jasmin démontre amplement qu'elle s'est maintenue dans les lieux loués depuis le 31 octobre 2001, malgré le bail conclu avec Madame X... ; que ces manoeuvres déloyales ont suspendu la prescription biennale, la Sarl Jasmin étant dans l'impossibilité d'exercer son action en revendication de la propriété commerciale pendant la durée du bail dérogatoire conclu avec Mme X... ; que cette suspension a pris fin le 2 octobre 2003, date à laquelle la Sarl Jasmin a signé un nouveau bail dérogatoire avec Martine Y... ; qu'en assignant celle-ci le 5 septembre 2005 en requalification du deuxième bail dérogatoire, la Sarl Jasmin a agi dans le délai de la prescription biennale ;
ALORS D'UNE PART QUE, si la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, la conclusion par le bailleur d'un nouveau bail dérogatoire avec un prête-nom dans le but de déroger, fût-ce frauduleusement, au statut des baux commerciaux dont bénéficie le preneur véritable ne rend pas absolument impossible l'exercice par ce dernier d'une action en revendication de la propriété commerciale ; qu'en affirmant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 2251 du Code civil et L 145-60 du Code de commerce ;
ALORS D'AUTRE PART et en tout état de cause QU'en retenant une suspension de la prescription biennale, sans expliquer en quoi la conclusion d'un nouveau bail dérogatoire par Mme Y... avec un prête-nom qui était son associée majoritaire avait empêché la société Jasmin d'exercer son action en revendication de la propriété commerciale pendant la durée de ce bail dérogatoire, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2251 du Code civil et L 145-60 du Code de commerce.
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Propriété commerciale
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.