par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. com., 21 février 2012, 11-11145
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Cour de cassation, chambre commerciale
21 février 2012, 11-11.145

Cette décision est visée dans la définition :
Subrogation




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 23 novembre 2010) que la société Depolabo a confié à la société Transports frigorifiques européens Rhône-Alpes, devenue la société TFE Lyon (la société TFE), le transport de colis contenant des doses d'insuline à une température comprise entre +2 et 8° C ; qu'après avoir constaté que les colis avaient été exposés à des températures négatives pendant au moins douze heures, la société Depolabo a notifié des réserves à la société TFE Lyon ; que la société HDI-Gerling industrie Versicherung AG (la société HDI), assureur de la société Depolabo, ayant indemnisé partiellement cette dernière, ces deux sociétés ont assigné la société TFE en dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société TFE fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société HDI une certaine somme, après avoir constaté que cette dernière était subrogée dans les droits de son assurée, la société Depolabo, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en retenant que l'acte de subrogation du 2 décembre 2004 avait été signé par la société Depolabo concomitamment au paiement par la société HDI par lettre chèque du 2 décembre 2004, "soit que les deux documents ont été échangés au cours d'une réunion, soit qu'ils avaient fait l'objet d'un envoi postal simultané manifestant la volonté de la société Depolabo de subroger l'assureur au moment du paiement", la cour d'appel, qui a statué par des motifs alternatifs et a ainsi laissé incertain le fondement factuel de sa décision, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que la subrogation conventionnelle doit être expresse et concomitante au paiement ; qu'en jugeant que l'acte de subrogation signé par la société Depolabo et la lettre-chèque de la société HDI avaient pu être échangés au cours d'une réunion, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas des documents eux-mêmes qu'un tel échange était impossible, dès lors que la société HDI avait émis le chèque le 2 décembre 2004 à Paris et que la société Depolabo avait signé l'acte de subrogation le même jour à Marseille, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1250 1° du code civil, ensemble l'article 1134 du même code ;

3°/ qu'en cas de paiement par chèque, ce paiement est réputé avoir eu lieu à la date de réception dudit chèque ; qu'en retenant qu'un envoi postal simultané du chèque par la société HDI et d'un acte de subrogation par la société Depolabo pouvait emporter subrogation conventionnelle régulière, tandis que l'envoi du chèque le 2 décembre 2004 ne valait pas paiement, de sorte qu'il ne pouvait y avoir concomitance entre l'acte de subrogation conventionnelle établi à la même date et le paiement effectif survenu à la réception du chèque, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1250 1° du code civil, ensemble les articles 1235 et 1238 du même code ;

Mais attendu que la subrogation conventionnelle de l'assureur dans les droits de l'assuré résulte de la volonté expresse de ce dernier, manifestée concomitamment ou antérieurement au paiement reçu de l'assureur ; qu'après avoir relevé que le paiement a fait l'objet d'une lettre-chèque datée du 2 décembre 2004 et que l'acte de subrogation était du même jour, l'arrêt retient qu'aucune pièce n'étaye les allégations de la société TFE selon lesquelles la société Depolabo a subrogé son assureur postérieurement au paiement ; que, par ces seuls motifs exempts de critiques, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la société TFE fait encore grief à l'arrêt d'avoir jugé qu'elle avait commis une faute lourde et de l'avoir condamnée à payer à la société Depolabo et à la société HDI une certaine somme chacune, alors, selon le moyen :

1°/ que la faute lourde s'entend d'une négligence d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur, maître de son action, à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée ; que cette faute ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle ; que la cour d'appel s'est contentée d'affirmer, en reprenant une déduction de l'expert judiciaire qui n'avait pas constaté que le transporteur avait sciemment fixé le thermostat de sa remorque à une température inférieure à celle prévue contractuellement, que la société TFE n'avait pas respecté les instructions sur la température dirigée des marchandises et avait indexé le thermostat à une température inférieure ; qu'en se contentant ainsi de retenir un manquement contractuel impropre à caractériser une faute lourde de nature à écarter la limitation contractuelle d'indemnisation, la cour d'appel, qui n'a pas constaté une négligence d'une extrême gravité confinant au dol, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1150 du code civil ;

2°/ qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'exposition de la marchandise à une température inférieure à +2° C s'expliquait par le fait que le groupe frigorifique fonctionnait à grande puissance pour revenir à la température fixée après les ouvertures répétées de la remorque pour effectuer les livraisons, ce qui pouvait tout au plus être une erreur de gestion des températures et de la disposition des marchandises dans la remorque et excluait toute négligence d'une gravité extrême confinant au dol, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1150 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que l'article 6 de la charte qualité convenue entre la société Depolabo et la société TFE, professionnel du transport sous température dirigée, stipule que "la température à l'enlèvement et en cours de transport sera comprise entre 2 et 8° C", températures rappelées sur les cartons qui comportaient, en outre, la mention "craint le gel" ; que l'arrêt relève encore que les doses d'insuline ont été transportées avec des denrées périssables devant être conservées à des températures négatives ; qu'il relève enfin que, transportant cinq jours par semaine en moyenne 250 kilogrammes de produits pharmaceutiques pour le compte de la société Depolabo, la société TFE n'a pas créé deux compartiments séparés tandis que le véhicule était équipé pour transporter en même temps des marchandises à des températures différentes et a indexé le thermostat sur une température plus basse que celle requise, privilégiant ainsi la conservation des denrées alimentaires au détriment de celle des produits pharmaceutiques ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu décider que la société TFE avait commis une faute lourde ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société TFE Lyon aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la société HDI Gerling industrie Versicherung AG et à la société Depolabo la somme globale de 2 500 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un février deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils pour la société TFE Lyon.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société TFE à payer à la société HDI Gerling Industrie la somme de 107.277,80 €, après avoir constaté que cette dernière était subrogée dans les droits de son assurée, la société Depolabo ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE les allégations de la société TFE selon lesquelles la société Depolabo aurait subrogé son assureur postérieurement au paiement ne sont étayées par aucune pièce ; que le paiement a fait l'objet d'une lettre-chèque datée du 2 décembre 2004 et l'acte de subrogation est daté du même jour ; qu'il en résulte, soit que les deux documents ont été échangés au cours d'une réunion, soit qu'ils avaient fait l'objet d'un envoi postal simultané manifestant la volonté de la société Depolabo de subroger l'assureur au moment du paiement ; que c'est donc à bon droit que le premier juge a dit que l'assureur établissait la concomitance de la subrogation qu'il invoque avec le règlement qu'il a reçu par la remise simultanée d'un chèque de 107.277,80 € et de la quittance subrogative et qu'il a déclaré recevable l'action de la société HDI Gerling ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE la société HDI Gerling justifie d'un paiement à titre commercial de 107.277,80 € qui est intervenu le 2 décembre 2004 et d'une subrogation du même jour ; qu'ainsi la concomitance du règlement et de la subrogation est établie sans que la preuve du contraire ne soit rapportée ;

ALORS QUE, D'UNE PART, en retenant que l'acte de subrogation du 2 décembre 2004 avait été signé par la société Depolabo concomitamment au paiement par la société HDI Gerling par lettre chèque du 2 décembre 2004, « soit que les deux documents ont été échangés au cours d'une réunion, soit qu'ils avaient fait l'objet d'un envoi postal simultané manifestant la volonté de la société Depolabo de subroger l'assureur au moment du paiement », la cour d'appel, qui a statué par des motifs alternatifs et a ainsi laissé incertain le fondement factuel de sa décision, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, la subrogation conventionnelle doit être expresse et concomitante au paiement ; qu'en jugeant que l'acte de subrogation signé par la société Depolabo et la lettre-chèque de la société HDI Gerling avaient pu être échangés au cours d'une réunion, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 5), s'il ne résultait pas des documents eux-mêmes qu'un tel échange était impossible, dès lors que la société HDI Gerling avait émis le chèque le 2 décembre 2004 à Paris et que la société Depolabo avait signé l'acte de subrogation le même jour à Marseille, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1250 1° du Code civil, ensemble l'article 1134 du même Code ;

ALORS QUE, ENFIN, en tout état de cause, en cas de paiement par chèque, ce paiement est réputé avoir eu lieu à la date de réception dudit chèque ; qu'en retenant qu'un envoi postal simultané du chèque par la société HDI Gerling et d'un acte de subrogation par la société Depolabo pouvait emporter subrogation conventionnelle régulière, tandis que l'envoi du chèque le 2 décembre 2004 ne valait pas paiement, de sorte qu'il ne pouvait y avoir concomitance entre l'acte de subrogation conventionnelle établi à la même date et le paiement effectif survenu à la réception du chèque, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1250 1° du Code civil, ensemble les articles 1235 et 1238 du même Code.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé que la société TFE Lyon avait commis une faute lourde et de l'avoir condamnée en conséquence à payer à la société Depolabo et à la société HDI Gerling Industrie la somme de 107.277,80 € chacune ;

AUX MOTIFS QUE la société TFE sollicite, subsidiairement, l'application de l'avenant du 1er octobre 1998 qui stipule que la « responsabilité de TFE en cas de perte ou d'avarie est limitée à 2.200 francs par colis » ; que les clause limitatives d'indemnité cessent d'être appliquées en cas de dol ou de faute lourde du transporteur ; que pour faire droit à la demande de la société TFE, le tribunal a dit qu'elle avait commis une erreur de gestion des températures et de marchandises ayant des contraintes différentes qui ne pouvait s'analyser comme une faute lourde ; que la société Depolabo avait donné une consigne claire et précise de transporter les colis d'insuline entre +2° et +8° C, température rappelée sur les cartons qui comportaient, en outre, la mention « craint le gel » et que la société TFE les a transportées avec des denrées périssables devant être conservées à des températures négatives et ce, alors que le véhicule était équipé pour transporter en même temps des marchandises entre 0 et +2° et entre +2° et +8° ; que la société TFE est fondée à souligner qu'aucun problème de cette nature n'est survenu par le passé, excluant qu'il soit reconnu une inaptitude à son encontre ; que néanmoins, spécialisée dans le transport sous température dirigée, qui fait l'objet d'une réglementation stricte, transportant cinq jours par semaine en moyenne 250 kg de produits pharmaceutiques pour le compte de la société Depolabo, elle n'a pas créé deux compartiments séparés et a indexé le thermostat sur une température plus basse que celle qui était requise, privilégiant ainsi la conservation des denrées alimentaires au détriment de celle des produits pharmaceutiques, en violation des instructions du donneur d'ordres ; que ces circonstances caractérisent une négligence d'une particulière gravité constitutive d'une faute lourde ; que contrairement à ce que la société TFE soutient, il est indifférent que l'expert n'ait pu se livrer qu'à une déduction concernant la température de consigne dès lors que la preuve est rapportée que les doses d'insuline ont été exposées pendant une douzaine d'heures à des températures inférieures à +2° ; qu'elle reproche à la société Depolabo de lui avoir donné une température de consigne entre +2° et +8° alors que l'expert a dit qu'elle devait être de 5° ; que toutefois l'instruction concernait la température ambiante et c'était à elle, en sa qualité de professionnelle du transport sous température dirigée, d'indexer le thermostat en conséquence ; qu'elle fait encore observer qu'il est impossible de conserver une température ambiante constante et uniforme dans le groupe frigorifique mais ce n'est pas ce qui lui est reproché, l'amplitude mentionnée ci-dessus permettant des variations au cours du transport ; qu'elle se retranche, enfin, derrière le fait qu'elle n'a pas à connaître les spécificités des produits qu'elle transporte mais celles-ci ne sont pas en cause, seulement le non-respect de l'instruction qui lui avait été donnée par la société Depolabo ; que le jugement sera infirmé, la clause limitative écartée et la société TFE Lyon condamnée à réparer l'entier préjudice des sociétés HDI Gerling et Depolabo ;

ALORS QUE, D'UNE PART, la faute lourde s'entend d'une négligence d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur, maître de son action, à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée ; que cette faute ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle ; que la cour d'appel s'est contentée d'affirmer, en reprenant une déduction de l'expert judiciaire qui n'avait pas constaté que le transporteur avait sciemment fixé le thermostat de sa remorque à une température inférieure à celle prévue contractuellement, que la société TFE n'avait pas respecté les instructions sur la température dirigée des marchandises et avait indexé le thermostat à une température inférieure ; qu'en se contentant ainsi de retenir un manquement contractuel impropre à caractériser une faute lourde de nature à écarter la limitation contractuelle d'indemnisation, la cour d'appel, qui n'a pas constaté une négligence d'une extrême gravité confinant au dol, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1150 du Code civil ;


ALORS QUE, D'AUTRE PART, en tout état de cause, en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 7, 8 et 16), si l'exposition de la marchandise à une température inférieure à +2° C s'expliquait par le fait que le groupe frigorifique fonctionnait à grande puissance pour revenir à la température fixée après les ouvertures répétées de la remorque pour effectuer les livraisons, ce qui pouvait tout au plus être une erreur de gestion des températures et de la disposition des marchandises dans la remorque et excluait toute négligence d'une gravité extrême confinant au dol, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1150 du Code civil.



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Subrogation


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.