par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 1, 17 février 2011, 09-15857
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
17 février 2011, 09-15.857
Cette décision est visée dans la définition :
Responsabilité civile
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 6-I-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu en référé, que, le 7 février 2008, le conseil de M. X... a adressé une lettre recommandée avec accusé de réception à la société Agence des médias numériques (la société AMEN), dénonçant la diffusion par M. Y..., sur un site internet hébergé par cette dernière, de documents portant atteinte à la vie privée de son client ; que M. X... a par la suite agi en référé afin d'obtenir !a condamnation solidaire de M. Y..., en raison de l'activité de ce site, et de la société AMEN, pour son retard à en suspendre l'accès, au paiement d'une provision sur son préjudice ;
Attendu que, pour accueillir la demande ainsi formée contre la société AMEN, l'arrêt retient que M. X... a prévenu cette société du contenu illicite du site litigieux par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 février 2008, distribuée le 8 février 2008, que pour être qualifiée de prompte la cessation de la diffusion aurait dû intervenir à cette dernière date, non pas le 12 février 2008, date indiquée par la société AMEN ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme il le lui était demandé, la notification délivrée en application de la loi susvisée comportait l'ensemble des mentions prescrites par ce texte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a prononcé condamnation à l'encontre de la société Agence des médias numériques, l'arrêt rendu le 19 mai 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette tant la demande de la société AMEN que celle de la SCP Monod et Colin avocat de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux conseils pour la société Agence des médias numériques
Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'avoir condamné solidairement la société AMEN à payer à Monsieur Krim X... une indemnité provisionnelle et d'avoir fixé le montant de celle-ci à la somme de 10.000 ;
AUX MOTIFS QUE « le premier juge a, par des motifs pertinents que la Cour adopte, soulevé que s'il est exact que la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique pose en son article 6-1-1 le principe de l'irresponsabilité de l'hébergeur quant au contenu des sites hébergés, il en va différemment selon le même article lorsque, averti du contenu illicite d'un site, il n'en suspend pas promptement la diffusion ; que dans le cas présent, le premier juge a justement relevé que Monsieur X... a prévenu la SAS AMEN du contenu du site litigieux par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 février 2008 distribuée le 8 février 2008 ; que par conséquent, la SAS AMEN ne peut tirer argument de l'inertie de la société qui assure sa domiciliation pour justifier d'avoir attendu jusqu'au 12 février selon elle pour faire cesser la diffusion, cessation qui, pour être qualifiée de prompte, aurait dû intervenir dès le 8 février ; que l'erreur matérielle commise dans la lettre du 7 février dans le nom de domaine du site « FR » au lieu de « COM » n'apparaît pas de nature à retarder considérablement cette suppression ; que c'est donc à juste titre, le contenu du site étant manifestement illicite et l'hébergeur n'en ayant pas promptement suspendu la diffusion, que la responsabilité de la SAS AMEN a été retenue au vu de ses propres fautes distinctes de celle de M. Y... ; que ces fautes l'engagent par provision dans la responsabilité et la condamnation solidaire à indemniser M. X... du préjudice subi sans qu'il y ait lieu en l'état de cette condamnation provisionnelle à statuer sur les demandes reconventionnelles ou en garantie ; que l'ensemble de ces demandes est rejeté comme ne ressortissant pas de la compétence du juge des référés saisi au visa des articles 808 et 809 du Code de procédure civile pour faire cesser un trouble manifestement illicite et accorder, dans la mesure où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, une provision au créancier ; que les copies d'écran réalisées le 13 février 2008 prouvent que le site litigieux était maintenu à cette date et le procès-verbal de réquisition confirme également que le site était accessible le 13 février 2008 puisque le procèsverbal est du 13 février 2008 ; que c'est donc à juste titre que M. X... a sollicité la suppression du site et ce contrairement aux affirmations de la SAS AMEN qui déclare avoir procédé au retrait du contenu le 12 février 2008 ; qu'enfin le nom de Krim X... était accessible depuis Google après le 14 février, ce qui confirme la carence de la SAS AMEN à faire promptement disparaître toute trace de ce contenu illicite ; que la Cour, réformant sur ce point la décision du premier juge, a donc des éléments pour chiffrer provisionnellement le préjudice subi par M. X... du fait de cette atteinte à sa vie privée (les écoutes téléphoniques notamment donnant tous éléments d'identification : nom, adresse, situation maritale et familiale, nationalité) à la somme de 10.000 euros ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU' « il est constant qu'à la date de l'audience le site litigieux avait été fermé, le 12 février selon la société AMEN, le 13 février selon les écritures du demandeur ; qu'il n'y a donc plus lieu à sa suppression judiciaire ; que la diffusion d'écoutes téléphoniques tirées d'un dossier d'instruction et donnant des informations confidentielles sur la vie privée du requérant a un caractère manifestement illicite qui engage par provision la responsabilité de Monsieur Pierre Y... ; qu'en ce qui concerne la SAS AMEN, sur le moyen d'irrecevabilité, qu'il échet de constater que la demande indemnité du requérant est essentiellement fondée dans ses dernières écritures sur l'atteinte à sa vie privée et non à son honneur ou sa réputation ; que le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de la loi de 1881 sur la presse est donc inopérant ; que pour le surplus, en ce qui concerne la situation de la SAS AMEN, que s'il est exact que la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique pose en son article 6-1-2 le principe de l'irresponsabilité de l'hébergeur quant au contenu des sites hébergés, il en va différemment, selon le même article, lorsque, averti du contenu illicite d'un site, il n'en suspend pas « promptement » la diffusion ; qu'en l'espèce, le requérant a prévenu la SAS AMEN du contenu illicite du site litigieux par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 février 2008, distribuée le 8 février 2008 ; que la SAS AMEN ne saurait tirer argument de l'inertie de la société qui assure sa domiciliation pour justifier avoir attendu jusqu'au 12 février, selon elle, pour faire cesser la diffusion, cessation qui pour pouvoir être qualifiée de prompte aurait dû avoir lieu dès le 8 février ; que l'erreur matérielle commise dans la lettre du 7 février dans le nom de domaine du site (.fr au lieu de .com) n'apparaît pas de nature à avoir pu retarder notablement sa suppression » ;
ALORS QUE D'UNE PART la connaissance par l'hébergeur du contenu manifestement illicite d'un site internet qu'il héberge n'est présumée acquise qu'autant qu'il lui est notifié les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du requérant, la description des faits litigieux et leur localisation précise ainsi que les motifs pour lesquels le contenu du site doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications des faits ; qu'en l'espèce, la société AMEN faisait expressément valoir dans ses écritures que les informations contenues dans la notification du 7 février 2008 qui lui avait été adressée par le conseil de Monsieur X... ne comportaient aucune des mentions prescrites par la loi sur l'identité du notifiant, ne décrivaient aucunement les faits prétendument litigieux pas plus qu'elles ne les localisaient, ne comportaient aucune citation ou identification précise des éléments prétendument illicites et se bornaient à renvoyer le lecteur à en « vérifier le contenu (prétendument) manifestement illicite » en se reportant à des « pièces judiciaires » « cotées D. 3447, D.3448, D. 3626, D 3782, D 3783 » non communiquées ; que la société AMEN indiquait ainsi que le notifiant ne lui avait pas donné les moyens effectifs d'apprécier le caractère manifestement illicite du contenu du site incriminé ; qu'en décidant néanmoins en l'espèce que la SAS AMEN était présumée avoir eu connaissance, dès réception le 8 février du courrier de Monsieur X..., du caractère manifestement illicite du contenu du site litigieux, sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée, si la notification du 7 février 2008 respectait les exigences posées par l'article 6-5 de la loi du 21 juin 2004, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions ce texte ;
ALORS D'AUTRE PART ET AU SURPLUS QUE les personnes physiques ou morales qui assurent, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ; que ne peut être imposée à l'hébergeur, sous couvert de « promptitude », une suspension automatique du site à réception de la notification lui faisant part du caractère prétendument illicite de son contenu, sans qu'un délai raisonnable d'analyse ne lui soit accordé pour lui permettre de vérifier par lui-même le caractère manifestement illicite ou non du message incriminé, sauf à lui imposer une mesure immédiate de censure a priori ; qu'en décidant néanmoins en l'espèce que faute d'avoir supprimé l'accès au contenu du site le jour même de la réception de la notification adressée par Monsieur X..., la société AMEN n'aurait pas agi promptement, la Cour d'appel a violé par fausse interprétation l'article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;
ALORS DE TROISIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT QU'en retenant qu'il résulterait des copies d'écran produites par Monsieur X... que le site litigieux aurait été maintenu accessible jusqu'au 13 février 2008, sans aucunement s'expliquer sur les conditions dans lesquelles ces copies d'écran avaient été réalisées et vérifier, comme l'y invitait la société AMEN, si ces copies d'écran avaient été effectuées par un huissier attestant avoir identifié l'adresse IP du terminal de consultation, constaté l'absence de connexion à un serveur « Proxy » et effacé la mémoire cache du terminal seules opérations permettant de s'assurer que n'avaient pas été capturées sur l'écran des pages Web qui n'existaient plus sur le site à la date des constatations la Cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS DE QUATRIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT QU'en décidant que la société AMEN n'apportait pas la preuve d'avoir procédé au retrait du contenu litigieux du site le 12 février 2008 sans s'expliquer sur le constat produit par cette société au terme duquel l'huissier instrumentaire indiquait avoir constaté sur les serveurs de la société AMEN qu'à la date du 12 février, les opérations de suppression de l'accès au site avaient été effectuées, la Cour d'appel a sur ce point encore entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS QU'ENFIN ET EN TOUT ETAT DE CAUSE la société AMEN produisait une note de Monsieur Z..., expert près les tribunaux, qui expliquait que la persistance prétendue de l'accès au site incriminé par le biais d'un tiers, le moteur de recherche GOOGLE, était le fait de la conservation en « cache » par ce moteur de recherche des pages web litigieuses, qui pouvaient rester accessibles malgré leur suppression par l'hébergeur du site; que la société AMEN faisait ainsi valoir qu'elle n'avait aucune prise sur cette pratique, pour laquelle elle ne pouvait être déclarée responsable s'agissant du fait d'un tiers sans lien avec elle ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir la prétendue carence de la société AMEN à faire promptement disparaître toute trace du contenu illicite du site litigieux, que « le nom de Krim X... était accessible depuis GOOGLE après le 14 février » sans répondre à ce chef péremptoire des écritures de la société AMEN, la Cour d'appel a de plus fort privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.
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Responsabilité civile
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.