par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, 08-11622
Dictionnaire Juridique
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
19 novembre 2009, 08-11.622
Cette décision est visée dans la définition :
Responsabilité civile
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 novembre 2007), que le 28 avril 1985, M. X... a été victime de blessures à l'arme blanche occasionnées par Mme Y..., nécessitant des interventions chirurgicales, au cours desquelles il a subi des transfusions sanguines ; que, par jugement du 1er juillet 1987, le tribunal correctionnel de Bordeaux a condamné Mme Y... à une peine d'emprisonnement avec sursis et à indemniser le préjudice causé à M. X... ; qu'ayant appris le 27 juillet 1995 qu'il était porteur du virus de l'hépatite C, M. X... a assigné Mme Y..., et l'Etablissement français du sang (l'EFS), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, en réparation de ses préjudices ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, qui sont identiques :
Attendu que l'EFS et Mme Y... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés, in solidum, à payer une certaine somme à M. X... à titre de dommages intérêts, alors, selon le moyen :
1 °/ que le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C recouvre l'ensemble des préjudices de caractère personnel, tant physiques que psychiques, consécutifs à l'infection virale ; qu'il inclut par conséquent le déficit fonctionnel permanent, qui correspond aux incidences, sur la sphère personnelle de la victime, de la réduction de son potentiel physique et psychique après la date de consolidation ; qu'en indemnisant, outre le préjudice spécifique de contamination de M. X... par le virus de l'hépatite C, son déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même dommage, a violé l'article 1147 du code civil et le principe de réparation intégrale ;
2°/ qu'en réparant, au titre du déficit fonctionnel permanent de M. X..., un préjudice lié à "l'inquiétude devant l'avenir" et, au titre de son préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C, "les troublés liés à l'incertitude quant à l'avenir", la cour d'appel a indemnisé deux fois le même dommage, en violation de l'article 1147 du code civil et du principe de réparation intégrale ;
Mais attendu qu'ayant énoncé que le déficit fonctionnel permanent de M. X... "comprend la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable", et que son préjudice spécifique de contamination recouvre "l'ensemble des troubles liés à l'incertitude quant à l'avenir, la crainte de souffrir et les perturbations de la vie intime et sociale", la cour d'appel, qui a caractérisé un déficit fonctionnel permanent de 20 % causé par une asthénie épisodique entravant son activité, a pu en déduire qu'il ne se confondait pas avec le préjudice spécifique de contamination fondé notamment sur l'incertitude et l'inquiétude devant l'avenir, a ainsi indemnisé deux préjudices distincts ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'il critique un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que l'EFS fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la charge définitive des condamnations prononcées in solidum contre lui et Mme Y..., au profit de M. X... et de la CPAM de Paris, serait supportée à concurrence de 80 % par l'EFS et de 20 % par Mme Y..., alors, selon le moyen, que, dans les rapports entre le fournisseur des produits sanguins à l'origine d'une contamination par le virus de l'hépatite C et celui qui, par sa faute, a rendu la transfusion sanguine nécessaire, la contribution à la dette de réparation a lieu à proportion des fautes respectives ; qu'en l'absence de faute, elle a lieu par parts égales ; qu'en condamnant l'EFS à supporter 80 % de la charge définitive des condamnations prononcées au bénéfice de M. X... et de la CPAM de Paris, après avoir constaté qu'il avait manqué à son obligation contractuelle de sécurité de résultat de fournir des produits sanguins exempts de vice, tandis que Mme Y... avait infligé à M. X... des blessures à l'arme blanche, pour lesquelles elle avait été pénalement condamnée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il s'évinçait que Mme Y... devait supporter plus de la moitié de la charge définitive de la dette de réparation, a violé les articles 1251 et 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu l'existence d'un lien causal entre la contamination et les vices affectant les produits sanguins dont la transfusion avait néanmoins été rendue nécessaire par les blessures occasionnées par Mme Y..., la cour d'appel a pu en déduire, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'EFS devait supporter 80 % de l'indemnisation et Mme Y... 20 % ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Etablissement français du sang et Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives de l'Etablissement français du sang et de Mme Y... ; les condamne, in solidum, à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour l'Etablissement français du sang, demandeur au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné l'E.F.S., in solidum avec Mme Y..., à payer à M. X... la somme de 34.197,40 euros à titre de dommages et intérêts,
AUX MOTIFS QUE, d'une part, le fait pour une victime de refuser un traitement aux effets secondaires non négligeables, et dont les chances de succès sont évaluées de 40 à 50%, ne saurait être de nature à réduire l'indemnisation de son préjudice ; que, d'autre part, M. X... produit un certificat postérieur à l'expertise judiciaire émanant du professeur Z... qui le suit, attestant qu'actuellement, aucun traitement n'est nécessaire dans l'urgence ou la semi-urgence et que les années à venir lui permettront de décider de la meilleure attitude thérapeutique en fonction de l'évolution des examens ; qu'aussi, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que l'état de M. X... était consolidé au 27 juillet 1995 et a fixé le taux de son déficit fonctionnel permanent à 20% ; que M. X... est né en 1940 et était âgé de 55 ans lors de la consolidation de son état ; que le déficit fonctionnel permanent dont il reste atteint est caractérisé par une asthénie se manifestant par à-coups et entravant son activité et par de l'inquiétude devant l'avenir, et a été justement réparé par l'allocation d'une somme de 20.880 euros ; que la gêne dans les actes de la vie courante occasionnée par l'hospitalisation de M. X... pour pratiquer des biopsies de son foie le 29 janvier 1996 et le 22 janvier 2001, fixée à 80 euros, ne fait l'objet d'aucune contestation ; que, contrairement à ce que soutient l'appelant, le préjudice de contamination ne se confond pas avec le déficit fonctionnel permanent ; que ce dernier comprend la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable ; qu'en revanche, le préjudice de contamination, ainsi que l'a rappelé le premier juge, comprend l'ensemble des troubles liés à l'incertitude quant à l'avenir, la crainte de souffrir et les perturbations de la vie intime et sociale ; qu'en conséquence, le préjudice sexuel lié à la crainte de contaminer son épouse invoqué par M. X..., qui indique avoir eu des rapports protégés puis, peu à peu, espacés et désormais quasiment arrêtés, est inclus dans le préjudice de contamination ; que la somme de 13.000 euros arrêtée par le premier juge constitue une juste indemnisation de ce chef de préjudice ;
1°/ ALORS QUE le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C recouvre l'ensemble des préjudices de caractère personnel, tant physiques que psychiques, consécutifs à l'infection virale ; qu'il inclut par conséquent le déficit fonctionnel permanent, qui correspond aux incidences, sur la sphère personnelle de la victime, de la réduction de son potentiel physique et psychique après la date de consolidation ; qu'en indemnisant, outre le préjudice spécifique de contamination de M. X... par le virus de l'hépatite C, son déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même dommage, a violé l'article 1147 du code civil et le principe de réparation intégrale ;
2°/ ALORS QU' en toute hypothèse, en réparant, au titre du déficit fonctionnel permanent de M. X..., un préjudice lié à « l'inquiétude devant l'avenir » et, au titre de son préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C, « les troublés liés à l'incertitude quant à l'avenir », la cour d'appel a indemnisé deux fois le même dommage, en violation de l'article 1147 du code civil et du principe de réparation intégrale.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la charge définitive des condamnations prononcées in solidum contre l'E.F.S. et Mme Y..., au profit de M. X... et de la C.P.A.M. de Paris, serait supportée à concurrence de 80% par l'E.F.S. et de 20% par Mme Y...,
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'E.F.S. a manqué à son obligation de sécurité de résultat de fournir des produits exempts de vice et a commis une faute délictuelle à l'égard de la victime, tandis que Mme Y... a aussi commis une faute délictuelle, d'ailleurs consacrée pénalement, en portant des coups de couteau à M. X... ; que ces fautes ont concouru à la contamination par le virus de l'hépatite C de M. X... ; que la contribution à la dette entre chacun des coobligés doit avoir lieu à proportion de leurs fautes respectives ; que soumis à une obligation de résultat, l'E.F.S. ne peut s'exonérer de sa responsabilité que par un cas de force majeure qui, en l'espèce, ne peut être invoqué ; que le premier juge, en fixant à 80% la part de l'E.F.S. et à 20% celle de Mme Y..., a fait une juste appréciation des fautes commises par chacun d'entre eux et qui sont à l'origine du préjudice de M. X... résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'E.F.S. devait fournir aux établissements de soins ayant accueilli M. X... des produits exempts de vice ; mais que, d'autre part, en utilisant une arme blanche, Mme Y... a causé des blessures hémorragiques rendant indispensables de multiples transfusions ; que le tribunal partagera la charge définitive de la responsabilité dans la proportion de 80% à l'E.F.S. et de 20% à Mme Y... ;
ALORS QUE, dans les rapports entre le fournisseur des produits sanguins à l'origine d'une contamination par le virus de l'hépatite C et celui qui, par sa faute, a rendu la transfusion sanguine nécessaire, la contribution à la dette de réparation a lieu à proportion des fautes respectives ; qu'en l'absence de faute, elle a lieu par parts égales ; qu'en condamnant l'E.F.S. à supporter 80% de la charge définitive des condamnations prononcées au bénéfice de M. X... et de la C.P.A.M. de Paris, après avoir constaté qu'il avait manqué à son obligation contractuelle de sécurité de résultat de fournir des produits sanguins exempts de vice, tandis que Mme Y... avait infligé à M. X... des blessures à l'arme blanche, pour lesquelles elle avait été pénalement condamnée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il s'évinçait que Mme Y... devait supporter plus de la moitié de la charge définitive de la dette de réparation, a violé les articles 1251 et 1382 du code civil.
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour Mme Y..., demanderesse au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mme Y..., in solidum avec l'E.F.S., à payer à M. X... la somme de 34.197,40 euros à titre de dommages et intérêts,
AUX MOTIFS QUE, d'une part, le fait pour une victime de refuser un traitement aux effets secondaires non négligeables, et dont les chances de succès sont évaluées de 40 à 50%, ne saurait être de nature à réduire l'indemnisation de son préjudice ; que, d'autre part, M. X... produit un certificat postérieur à l'expertise judiciaire émanant du professeur Z... qui le suit, attestant qu'actuellement, aucun traitement n'est nécessaire dans l'urgence ou la semi-urgence et que les années à venir lui permettront de décider de la meilleure attitude thérapeutique en fonction de l'évolution des examens ; qu'aussi, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que l'état de M. X... était consolidé au 27 juillet 1995 et a fixé le taux de son déficit fonctionnel permanent à 20% ; que M. X... est né en 1940 et était âgé de 55 ans lors de la consolidation de son état ; que le déficit fonctionnel permanent dont il reste atteint est caractérisé par une asthénie se manifestant par à-coups et entravant son activité et par de l'inquiétude devant l'avenir, et a été justement réparé par l'allocation d'une somme de 20.880 euros ; que la gêne dans les actes de la vie courante occasionnée par l'hospitalisation de M. X... pour pratiquer des biopsies de son foie le 29 janvier 1996 et le 22 janvier 2001, fixée à 80 euros, ne fait l'objet d'aucune contestation ; que, contrairement à ce que soutient l'appelant, le préjudice de contamination ne se confond pas avec le déficit fonctionnel permanent ; que ce dernier comprend la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable ; qu'en revanche, le préjudice de contamination, ainsi que l'a rappelé le premier juge, comprend l'ensemble des troubles liés à l'incertitude quant à l'avenir, la crainte de souffrir et les perturbations de la vie intime et sociale ; qu'en conséquence, le préjudice sexuel lié à la crainte de contaminer son épouse invoqué par M. X..., qui indique avoir eu des rapports protégés puis, peu à peu, espacés et désormais quasiment arrêtés, est inclus dans le préjudice de contamination ; que la somme de 13.000 euros arrêtée par le premier juge constitue une juste indemnisation de ce chef de préjudice ;
1°/ ALORS QUE le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C recouvre l'ensemble des préjudices de caractère personnel, tant physiques que psychiques, consécutifs à l'infection virale ; qu'il inclut par conséquent le déficit fonctionnel permanent, qui correspond aux incidences, sur la sphère personnelle de la victime, de la réduction de son potentiel physique et psychique après la date de consolidation ; qu'en indemnisant, outre le préjudice spécifique de contamination de M. X... par le virus de l'hépatite C, son déficit fonctionnel permanent, la Cour d'appel, qui a réparé deux fois le même dommage, a violé l'article 1147 du Code civil et le principe de réparation intégrale ;
2°/ ALORS QU'en toute hypothèse, en réparant, au titre du déficit fonctionnel permanent de M. X..., un préjudice lié à « l'inquiétude devant l'avenir » et, au titre de son préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C, « les troublés liés à l'incertitude quant à l'avenir », la Cour d'appel a indemnisé deux fois le même dommage, en violation de l'article 1147 du Code civil et du principe de réparation intégrale.
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Responsabilité civile
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.